Dans cet arrêt publié au bulletin, portant sur l’éligibilité d’une société immobilière à l’exonération des biens professionnels en matière d’ISF, la Cour de cassation apporte plusieurs précisions intéressantes qui paraissent transposables aux autres dispositifs faisant intervenir les notions de holding animatrice et de société opérationnelle, telle que l’exonération « Dutreil » de droits de mutation à titre gratuit.
En l’espèce, le contribuable contestait un rappel d’ISF résultant de la remise en cause de l’exonération des titres qu’il détenait dans la société Capimmo, société détenant à son actif des parts de SCI et exerçant à titre principal une activité commerciale de syndic et d’administration de biens au profit des SCI qu’elle détenait.
Il invoquait en premier lieu l’incohérence de la position de l’administration, faisant valoir qu’elle avait abandonné un rehaussement de droits de mutation portant sur la donation de parts sociales de cette même société, qu’il regardait comme une prise de position opposable concernant la valeur de ses titres au sens de l’article L. 80 B du LPF.
La Cour de cassation écarte ce premier moyen : elle juge qu’ « une décision de dégrèvement d’office non motivée ne constitue pas une prise de position formelle de l’administration au sens de ce texte ». En l’espèce, dès lors que l’abandon par l’administration des rappels de droits de mutation à titre gratuit réclamés à la suite de la donation-partage de titres de la société Capimmo n’était assorti d’aucune motivation, elle juge que l’administration fiscale n’avait pas pris de position formelle sur la valeur des parts de cette société et avait pu valablement les réévaluer.
En deuxième lieu, il faisait valoir que la société Capimmo participait à l’animation de ses filiales et devait être qualifiée de holding animatrice.
La Cour écarte là aussi ce moyen. Elle juge qu’ « une société holding qui ne contrôle aucune filiale opérationnelle ne peut être qualifiée de holding animatrice, de sorte que, si elle n’exerce pas elle-même une activité opérationnelle à titre principal, ses parts ou actions ne peuvent être considérées comme des biens professionnels exonérés de l’ISF ». En l’espèce, dès lors que la société Capimmo détenait à son actif uniquement des parts de SCI exerçant une activité civile de gestion de leur propre patrimoine immobilier à travers la location nue, elle juge qu’elle ne pouvait être considérée comme une société holding animatrice de son groupe.
Toutefois, la Cour casse l’arrêt d’appel en faisant droit au dernier moyen du contribuable, portant sur la qualification de société opérationnelle de sa société. Ce faisant, elle complète sa jurisprudence sur le traitement des sociétés à activité mixte.
En effet, pour juger que les parts de la société Capimmo ne constituaient pas des biens professionnels, la cour d’appel s’était fondée sur ce que, même si cette société avait pour activité principale une activité commerciale, elle percevait d’importants produits financiers provenant de la location d’immeubles nus possédés par les SCI dont elle détenait 99,99 % des parts.
Or, selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation, seul le critère de l’activité principale importe pour déterminer si la société a droit à l’avantage fiscal : une société ayant une activité mixte peut être qualifiée d’opérationnelle, et bénéficier ainsi notamment de l’exonération d’ISF sur les biens professionnels, si son activité civile de gestion de son propre patrimoine n’est pas exercée à titre principal. En outre, en vertu des dispositions alors en vigueur relatives à l’ISF, l’exonération s’appliquait seulement pour la fraction de la valeur des parts ou actions nécessaires à l’activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale : il s’agit là d’une condition portant sur le montant exonéré, et non sur le droit à l’exonération.
La Cour de cassation censure donc le raisonnement du juge d’appel : elle juge que, dès lors que la cour d’appel avait relevé que l’activité commerciale était l’activité principale de la société Capimmo, elle aurait dû rechercher, par application des dispositions propres à l’ISF alors en vigueur, la fraction de la valeur de ses parts correspondant aux éléments du patrimoine social nécessaires à son activité commerciale. Il en résulte qu’une telle société est bien qualifiée de société opérationnelle, éligible à l’avantage fiscal dans les conditions alors prévues par le législateur (i.e. sur la fraction de sa valeur affectée à l’activité commerciale).
En pratique
Une société détenant des SCI ayant une activité civile et exerçant à titre principal une activité commerciale au profit de ces SCI ne peut pas être qualifiée de holding animatrice, mais peut être qualifiée de société opérationnelle dès lors que l’activité commerciale est son activité principale
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(…)
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Lyon, 19 mai 2022), le 4 juillet 2013, l’administration fiscale a adressé à M. [E] une proposition de rectification portant rappel d’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) au titre des années 2007 à 2012.
2. Après le rejet de sa réclamation contentieuse, M. [E] a assigné l’administration fiscale en annulation de la décision de rejet et dégrèvement des impositions réclamées.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. M. [E] fait grief à l’arrêt de rejeter sa demande d’annulation de la décision du 17 octobre 2017 et sa demande de dégrèvement des suppléments d’ISF pour les années 2007 à 2012, alors « que la décision d’abandonner un rehaussement d’imposition portant sur la donation de parts sociales a pour conséquence d’en cristalliser la valeur unitaire, sauf à démontrer que celle-ci a évolué dans le temps ; qu’en effet, une telle circonstance se fonde implicitement mais nécessairement sur l’appréciation d’une situation de fait au regard d’un texte et constitue dès lors une prise de position formelle au sens de l’article L. 80 B du livre des procédures fiscales ; qu’en jugeant que l’abandon des rehaussements initialement envisagés et relatifs aux droits de mutation des titres de la société Capimmo ne pouvait être considéré comme une prise de position formelle de l’administration fiscale sur la valeur unitaire des parts de cette société, la cour d’appel a violé l’article L. 80 B du livre des procédures fiscales. »
Réponse de la Cour
4. Selon l’article L. 80 B du livre des procédures fiscales, l’administration ne peut procéder à aucun rehaussement d’impositions antérieures lorsqu’elle a formellement pris position sur l’appréciation d’une situation de fait au regard d’un texte fiscal.
5. Une décision de dégrèvement d’office non motivée ne constitue pas une prise de position formelle de l’administration au sens de ce texte.
6. Ayant relevé que l’abandon par l’administration fiscale de rappels de droits de mutation à titre gratuit réclamés à la suite d’une donation-partage de titres de la société Capimmo n’était assorti d’aucune motivation, la cour d’appel en a déduit à bon droit que l’administration fiscale n’avait pas pris de position formelle sur la valeur unitaire des parts de cette société pour l’année 2011 et avait pu valablement évaluer la valeur réelle des parts de la société Capimmo, de 2007 à 2012.
7.Le moyen n’est donc pas fondé.
Sur le moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
8. M. [E] fait le même grief à l’arrêt, alors « que les titres d’une société sont assimilés à des biens professionnels lorsque celle-ci participe à l’animation des sociétés d’un groupe et leur rend des services spécifiques d’ordre administratif, juridique, comptable, financier ou immobilier ; qu’en considérant que les parts détenues par M. [E] dans la société Capimmo devaient être incluses dans l’assiette de l’impôt de solidarité sur la fortune après avoir pourtant constaté que cette société exerçait à titre principal une activité commerciale de syndic et d’administration de biens au profit des sociétés civiles immobilières qu’elle détenait, la cour d’appel a violé les articles 885 O ter et quater du code général des impôts. »
Réponse de la Cour
9. Au sens des articles 885 O ter et 885 O quater du code général des impôts, alors applicables, est assimilée à une société exerçant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale une société holding qui, outre la gestion d’un portefeuille de participations, a pour activité principale la participation active à la conduite de la politique de son groupe et au contrôle de ses filiales exerçant une activité commerciale, industrielle, artisanale, agricole ou libérale.
10. Il en résulte qu’une société holding qui ne contrôle aucune filiale opérationnelle ne peut être qualifiée de holding animatrice, de sorte que, si elle n’exerce pas elle-même une activité opérationnelle à titre principal, ses parts ou actions ne peuvent être considérées comme des biens professionnels exonérés de l’ISF.
11. Ayant relevé que la société Capimmo détenait à son actif uniquement des parts de sociétés civiles immobilières exerçant une activité civile de gestion de leur propre patrimoine immobilier à travers la location nue, c’est à bon droit que la cour d’appel a retenu que les parts de la société Capimmo ne pouvaient être considérées comme des biens professionnels exonérés de l’ISF en tant que parts d’une société holding animatrice de son groupe.
12. Le moyen n’est donc pas fondé.
Mais sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
13. M. [E] fait le même grief à l’arrêt, alors « que la limitation de l’exonération d’ISF prévue par l’article 885 O ter du code général des impôts, qui exclut de la qualification de biens professionnels les actifs d’une société non nécessaires à son activité, ne s’étend pas aux actifs des filiales et sous-filiales ; qu’en jugeant ainsi que les actifs des SCI Siyanne et [Adresse 1], détenus par la société Capimmo, devaient être pris en compte pour établir le caractère professionnel des parts détenues par M. [E] dans cette dernière société, la cour d’appel a violé les articles 885 O ter et quater du code général des impôts. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 885 O ter et 885 O quater du code général des impôts, alors applicables :
14. Aux termes du premier de ces textes, seule la fraction de la valeur des parts ou actions correspondant aux éléments du patrimoine social nécessaires à l’activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale de la société est considérée comme un bien professionnel.
15. Aux termes du second, ne sont pas considérées comme des biens professionnels les parts ou actions de sociétés ayant pour activité principale la gestion de leur propre patrimoine mobilier ou immobilier.
16. Il en résulte que les parts ou actions de sociétés exerçant à la fois une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale et une activité civile de gestion de leur propre patrimoine mobilier ou immobilier peuvent bénéficier du régime des biens professionnels exonérés d’ISF uniquement si cette dernière activité n’est pas exercée à titre principal et seulement pour la fraction de la valeur de ces parts ou actions nécessaires à l’activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale.
17. Pour juger que les parts de la société Capimmo ne constituent pas des biens professionnels au sens des articles 885 O ter et 885 O quater du code général des impôts, l’arrêt relève que, même si la société Capimmo a pour activité principale une activité commerciale, elle perçoit d’importants produits financiers provenant de la location d’immeubles nus possédés par les sociétés civiles immobilières dont elle détient 99,99 % des parts. Il ajoute que la société Capimmo ne peut pas bénéficier du régime des biens professionnels pour la fraction de ses biens correspondant à son activité civile et que, dès lors que la valeur nette des biens non professionnels est supérieure à la valeur réelle nette de l’actif de la société, les parts de la société Capimmo ne constituent pas des biens professionnels au sens de l’article 885 O quater du code général des impôts.
18. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il lui incombait, la fraction de la valeur des parts de la société Capimmo correspondant aux éléments du patrimoine social nécessaires à son activité commerciale, dont elle avait relevé qu’elle était exercée à titre principal, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 19 mai 2022, entre les parties, par la cour d’appel de Lyon ;
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