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Levée d’option d’achat d’un crédit-bail par une SCI : conséquences de la translucidité fiscale

CE, 26 avril 2024, n° 472855, société CMM Finances : le Conseil d’Etat précise les conséquences, pour les associés d’une SCI, de la levée d’option d’achat d’un bien loué en crédit-bail par une société de personnes.

La décision société CMM Finances rendue par le Conseil d’Etat le 26 avril est intéressante à deux titres : d’une part, elle rappelle avec clarté que les règles de détermination du bénéfice des sociétés de personnes ne sont pas les mêmes selon que leurs associés sont imposables à l’IR ou à l’IS. D’autre part, elle confirme que l’exercice d’une option d’achat d’un contrat de crédit-bail est susceptible, dans certains cas, de donner lieu à la constatation d’une plus-value taxable.

Les faits de l’affaire sont simples : la société requérante, soumise à l’IS, était associée à 95 % d’une SCI soumise au régime fiscal des sociétés de personnes (art. 8 du CGI), dont l’autre associé était une personne physique soumise à l’IR. Exerçant une activité de sous-location d’un immeuble nu qu’elle avait pris en crédit-bail, la SCI a levé d’option d’achat en 2014.

A l’issue d’un contrôle, l’administration a considéré que cette levée d’option avait fait naître un bénéfice taxable au nom de l’associée requérante. Elle a en effet estimé que l’entrée de l’immeuble dans le patrimoine de la SCI s’était traduite par un changement de nature de son activité, passant d’une activité de sous-location taxable en BNC à une activité de location taxable en revenus fonciers. La cessation de l’activité initiale de la SCI rendait, selon l’administration, immédiatement imposable une plus-value correspondant à la différence entre la valeur réelle de l’immeuble et son coût d’acquisition. Les bénéfices de la requérante au titre de l’exercice 2014 ont donc été rehaussés à hauteur de la fraction de cette plus-value correspondant à sa quote-part des résultats de la SCI. La cour administrative d’appel, dans l’arrêt attaqué, avait confirmé ce rehaussement.

Faisant droit au pourvoi de la société, le Conseil d’Etat juge le rehaussement de bénéfice infondé.

La décision ne nie certes pas que la levée d’une option d’achat d’un bien en crédit-bail est susceptible de faire naître une plus-value taxable. Le transfert de propriété du bien constitue, pour les associés patrimoniaux de la SCI, un événement taxable puisqu’il conduit à une modification de la catégorie d’imposition de leur quote-part de bénéfices (en l’espèce, passage des BNC aux revenus fonciers).

Il en va en revanche différemment pour les associés soumis à l’IS. En effet, par un considérant de principe nouveau, le Conseil d’Etat juge « que les éventuelles conséquences fiscales qui s’attachent au transfert de propriété résultant de la levée de l’option d’achat d’un contrat de crédit-bail par une société relevant du régime fiscal prévu à l’article 8 du code général des impôts doivent s’apprécier, pour les associés patrimoniaux de cette société, en appliquant les règles relatives à la catégorie d’imposition correspondant à l’activité de la société et, pour ses associés soumis à l’impôt sur les sociétés, en appliquant les règles relatives aux bénéfices industriels et commerciaux ». Il en résulte que, pour les associés à l’IS, la levée d’option n’entraîne aucune modification de la catégorie d’imposition : avant comme après cette levée, leur quote-part de bénéfices est imposable en appliquant les règles relatives aux BIC.

Or, l’arrêt de la cour faisait fi de cette distinction cardinale entre associés à l’IR et associés à l’IS. Pour rejeter l’appel de la société requérante, soumise à l’IS, il avait considéré que le fait que la SCI passe d’une activité de sous-location relevant des BNC à une activité de location relevant des revenus fonciers constituait un événement taxable pour l’ensemble de ses associés, à l’IR comme à l’IS.

Le Conseil d’Etat censure cette erreur de droit commise par la cour en appliquant, à un associé soumis à l’IS, des règles autres que celles applicables aux BIC.

Nota : La rubrique “En pratique” est conçue pour permettre aux professionnels de la fiscalité d’appréhender rapidement les conséquences pratiques d’un texte afin d’en faciliter la lecture et la mémorisation. De par sa nature, le contenu de cette rubrique peut être réducteur. De plus, elle est rédigée en simultané avec le texte principal et n’est pas mise à jour en fonction de l’évolution des textes, ni de leur interprétation par la jurisprudence ou la doctrine.

Compte tenu de la sensibilité, de la variété des situations, des enjeux et de l’évolution constante de la matière fiscale, il est recommandé aux non-spécialistes de consulter un professionnel, le plus souvent un avocat fiscaliste, pour assurer la sécurité juridique de leurs opérations. La rédaction décline toute responsabilité quant à l’application des mesures présentées dans la rubrique “En pratique”.

(…)

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que la société CMM Finances, soumise à l’impôt sur les sociétés, est associée à hauteur de 95 % de la société civile immobilière (SCI) La Gatine, soumise au régime fiscal prévu à l’article 8 du code général des impôts, qui exerçait une activité de sous-location d’un immeuble nu qu’elle avait pris en crédit-bail. Par acte du 22 avril 2014, la société La Gatine a levé l’option d’achat prévue par le contrat de crédit-bail. À la suite d’un contrôle sur pièce, l’administration a considéré que l’entrée de l’immeuble dans le patrimoine de la société La Gatine s’était traduite par un changement de nature de son activité, la société cessant d’exercer une activité de sous-location, dont les bénéfices relèvent, lorsqu’ils sont soumis à l’impôt sur le revenu, de la catégorie des bénéfices non commerciaux, au profit d’une activité de location, dont les bénéfices relèvent de la catégorie d’imposition des revenus fonciers. Elle a estimé que la cessation de l’activité initiale de la société La Gatine et son changement de régime fiscal avaient eu pour effet de rendre immédiatement imposable la plus-value correspondant à la différence entre la valeur réelle de l’immeuble et son coût d’acquisition. L’administration a en conséquence rehaussé les bénéfices de la société CMM Finances à hauteur de la fraction de cette plus-value correspondant à sa quote-part des résultats de la société La Gatine et l’a assujettie en conséquence à des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés au titre de son exercice clos le 31 décembre 2014. La société CMM Finances se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 9 février 2023 par lequel la cour administrative d’appel de Versailles a rejeté l’appel qu’elle avait formé contre le jugement du 15 septembre 2020 du tribunal administratif d’Orléans rejetant sa demande tendant à la décharge de ces impositions supplémentaires.

2. Aux termes de l’article 218 bis du code général des impôts :  » Les sociétés ou personnes morales passibles de l’impôt sur les sociétés en vertu de l’article 206 (…) sont personnellement soumises audit impôt à raison de la part des bénéfices correspondant aux droits qu’elles détiennent, dans les conditions prévues aux articles 8, 8 quater, 8 quinquies et 1655 ter, en qualité d’associées en nom ou commanditées ou de membres de sociétés visées auxdits articles « . Aux termes de l’article 238 bis K du code général des impôts :  » I. Lorsque des droits dans une société ou un groupement mentionnés aux articles 8, 8 quinquies, 239 quater, 239 quater B, 239 quater C ou 239 quater D sont inscrits à l’actif d’une personne morale passible de l’impôt sur les sociétés dans les conditions de droit commun ou d’une entreprise industrielle, commerciale, artisanale ou agricole imposable à l’impôt sur le revenu de plein droit selon un régime de bénéfice réel, la part de bénéfice correspondant à ces droits est déterminée selon les règles applicables au bénéfice réalisé par la personne ou l’entreprise qui détient ces droits (…) II. – Dans tous les autres cas, la part de bénéfice ainsi que les profits résultant de la cession des droits sociaux sont déterminés et imposés en tenant compte de la nature de l’activité et du montant des recettes de la société ou du groupement. « . Il résulte de ces dispositions que les éventuelles conséquences fiscales qui s’attachent au transfert de propriété résultant de la levée de l’option d’achat d’un contrat de crédit-bail par une société relevant du régime fiscal prévu à l’article 8 du code général des impôts doivent s’apprécier, pour les associés patrimoniaux de cette société, en appliquant les règles relatives à la catégorie d’imposition correspondant à l’activité de la société et, pour ses associés soumis à l’impôt sur les sociétés, en appliquant les règles relatives aux bénéfices industriels et commerciaux.

3. Pour rejeter l’appel de la société CMM Finances, la cour administrative d’appel s’est fondée, comme l’administration fiscale avant elle, sur ce que la société La Gatine, soumise au régime fiscal prévu à l’article 8 du code général des impôts, qui exerçait une activité de sous-location d’immeuble nu pris en crédit-bail dont les bénéfices relevaient de la catégorie des bénéfices non commerciaux, avait cessé cette activité du fait de l’entrée de cet immeuble dans son patrimoine à la suite de la levée d’option d’achat prévue par le contrat de crédit-bail au profit d’une activité de location du même immeuble, dont les bénéfices relevaient de la catégorie des revenus fonciers, ce qui avait eu pour effet de rendre immédiatement taxable, entre les mains de chacun de ses associés, à hauteur de leur quote-part respective, la plus-value correspondant à la différence entre la valeur réelle de cet immeuble et son coût d’acquisition.

4. En statuant ainsi, alors qu’il résulte de ce qui a été dit au point 2 que, dès lors que la société CMM finances est soumise à l’impôt sur les sociétés, c’est au regard des règles applicables aux bénéfices industriels et commerciaux que la cour aurait dû apprécier les éventuelles conséquences fiscales du transfert de propriété résultant de la levée d’option d’achat du contrat de crédit-bail, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit.

5. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, que la société CMM Finances est fondée à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque.

(…)





 

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