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Dutreil ISF : conditions tenant à l’activité exercée

Cass. com., 13 mars 2024, n° 22-15.300 : la Cour de cassation apporte des précisions quant à l’appréciation du caractère principal de l’activité éligible, en l’espèce pour le bénéfice de l’exonération « Dutreil » applicable en matière d’ISF jusque 2017.

A l’instar du dispositif Dutreil applicable en matière de droits de succession et de donation (art. 787 B du CGI), l’ancien dispositif Dutreil applicable en matière d’ISF, codifié à l’article 885 I bis du CGI jusque 2017, n’était applicable que lorsque l’engagement de conservation souscrit par le contribuable porte sur des titres d’une société « ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale ».

Dans l’affaire tranchée par la Cour de cassation le 13 mars 2024, l’administration avait remis en cause le bénéfice de cette exonération au motif que la société exerçait à titre principal une activité civile non éligible. Le redressement avait été confirmé en appel.

Dans son arrêt, la Cour réaffirme d’abord sa jurisprudence constante qui impose de vérifier si l’activité éligible est l’activité principale : le dispositif Dutreil s’applique aux parts ou actions de sociétés qui, ayant pour partie une activité civile, exercent principalement une activité éligible. Elle précise que « cette prépondérance s’appréciant en considération d’un faisceau d’indices déterminés d’après la nature de l’activité et les conditions de son exercice ».

Avec une grande clarté, la Cour casse ensuite l’arrêt d’appel pour n’avoir pas appliqué cette méthode du faisceau d’indices. Pour cela, elle constate que, pour confirmer le redressement, la cour d’appel a relevé que le contribuable ne démontrait pas que les actifs affectés à l’activité commerciale représenteraient plus de 50 % de son actif brut et que l’actif brut de la société serait majoritairement constitué de valeurs mobilières de placement ne présentant pas un caractère professionnel. Elle juge ensuite que, en se fondant sur ces éléments, « sans examiner, comme il lui incombait, l’ensemble des indices dont se prévalait le contribuable pour démontrer le caractère principalement commercial de la société, en particulier les éléments relatifs à la nature de l’activité exercée et les conditions de son exercice, et sans rechercher, comme elle y était invitée, si les liquidités et titres de placement inscrits au bilan de la société (…) constituaient des actifs dont l’acquisition découlait de son activité sociale », la cour d’appel a méconnu les dispositions législatives régissant cette exonération.

Cet arrêt confirme ainsi avec force que le caractère principal ne peut s’apprécier à l’aune d’un critère unique de chiffre d’affaires : il faut tenir compte de la nature de chaque activité, et des conditions de son exercice. Il apporte en outre une précision nouvelle en considérant qu’il y a lieu de tenir compte des actifs dont l’acquisition découle de l’activité éligible.

Enfin, l’arrêt juge que, même postérieurement à la période visée par l’engagement de conservation des titres, l’éligibilité des parts au dispositif Dutreil ISF demeurait soumise à la condition que la société exerce une activité éligible, cette condition devant être remplie au 1er janvier de chaque année concernée par la déclaration.

Nota : La rubrique “En pratique” est conçue pour permettre aux professionnels de la fiscalité d’appréhender rapidement les conséquences pratiques d’un texte afin d’en faciliter la lecture et la mémorisation. De par sa nature, le contenu de cette rubrique peut être réducteur. De plus, elle est rédigée en simultané avec le texte principal et n’est pas mise à jour en fonction de l’évolution des textes, ni de leur interprétation par la jurisprudence ou la doctrine.

Compte tenu de la sensibilité, de la variété des situations, des enjeux et de l’évolution constante de la matière fiscale, il est recommandé aux non-spécialistes de consulter un professionnel, le plus souvent un avocat fiscaliste, pour assurer la sécurité juridique de leurs opérations. La rédaction décline toute responsabilité quant à l’application des mesures présentées dans la rubrique “En pratique”.

(…)

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 14 mars 2022), l’administration fiscale a notifié à M. [H] une proposition de rectification portant rappel d’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) pour les années 2011 à 2015 et de contribution exceptionnelle sur la fortune (CEF) pour l’année 2012, remettant en cause l’exonération partielle de 75 % de la valeur des actions de la société Parasol production au motif que cette société exercerait à titre principal une activité civile non éligible au dispositif d’exonération prévu à l’article 885 I bis du code général des impôts.

2. Après rejet implicite de sa réclamation, M. [H] a assigné l’administration fiscale afin d’obtenir la décharge des impositions supplémentaires réclamées.

Moyens

Examen des moyens

Sur le second moyen, pris en sa première branche

Motivation


3. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Moyens


Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. M. [H] fait grief à l’arrêt de rejeter ses demandes tendant au dégrèvement des rappels d’ISF pour les années 2011 à 2015 et de la CEF, en principal, intérêts et pénalités mis en recouvrement à son encontre et au remboursement des sommes versées, alors :

« 1°/ que la version de l’article 885 I bis du code général des impôts applicable au litige n’exige pas expressément que l’activité industrielle, commerciale ou artisanale, agricole ou libérale des parts ou actions soit maintenue au-delà de la durée de l’engagement de conservation des titres, en considérant que l’administration fiscale était fondée à soutenir que l’exonération partielle ne trouvait pas à s’appliquer peu important que la période du redressement soit postérieure à la durée de conservation des titres, au motif que ledit article ne mentionne en aucune façon que la condition relative à l’exercice d’une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale ne serait plus exigée au-delà de la durée de l’engagement de conservation, la cour d’appel, qui a ajouté à la loi une condition qu’elle ne comporte pas, a violé l’article 885 I bis du code général des impôts ;

2°/ qu’à partir de 2009, à l’issue de la période d’engagement collectif de conservation de six ans pris dans le cadre du « pacte Dutreil » conclu le 5 décembre 2003, le bénéfice du régime d’exonération partielle d’ISF était uniquement conditionné, selon les termes mêmes du c de l’article 885 I bis du code général des impôts, à ce que les titres de la société visés par le pacte soient la propriété de M. [H] et sa fille, en considérant que l’administration fiscale était fondée à soutenir que l’exonération partielle ne trouvait pas à s’appliquer, peu important que la période du redressement soit postérieure à la durée de conservation des titres, au motif que ledit article ne mentionne en aucune façon que la condition relative à l’exercice d’une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale ne serait plus exigée au-delà de la durée de l’engagement de conservation, la cour d’appel, qui a ajouté à la loi une condition qu’elle ne comporte pas, a violé l’article 885 I bis du code général des impôts. »

Motivation

Réponse de la Cour

5. Il résulte des articles 885 A et 885 I bis du code général des impôts, alors applicables, que les parts ou les actions d’une société ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale ne sont pas comprises dans les bases d’imposition à l’ISF, à concurrence des trois quarts de leur valeur, si elles remplissent certaines conditions limitativement énumérées, en particulier celle prévoyant qu’à compter de la date d’expiration de l’engagement collectif, les parts ou actions restent la propriété du redevable.

6. Après avoir énoncé, par motifs propres et adoptés, que la condition relative à l’exercice de l’activité de la société dont les parts sont visées à l’article 885 I bis du code général des impôts est un corollaire de la mesure de réduction fiscale et en constitue une prémisse puisqu’elle identifie les titres admis à ce régime, l’arrêt retient qu’il importe peu que la période d’imposition soit postérieure à la durée de conservation des titres.

7. De ces énonciations et constatations, la cour d’appel a exactement déduit que, même postérieurement à la période visée par l’engagement de conservation des titres, l’éligibilité des parts au dispositif prévu à l’article 885 I bis du code général des impôts demeurait soumise à la condition que la société exerçât une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, cette condition devant être remplie au 1er janvier de chaque année concernée par la déclaration.

Moyens

Mais sur le second moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

8. M. [H] fait le même grief à l’arrêt, alors « que le bénéfice du régime de faveur des dispositions de l’article 885 I bis du code général des impôts est applicable aux parts ou actions d’une société qui exerce à la fois une activité civile et une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, dans la mesure où cette activité civile n’est pas prépondérante, cette prépondérance s’appréciant en considération d’un faisceau d’indices déterminés d’après la nature de l’activité et les conditions de son exercice, en subordonnant l’avantage qu’institue ces dispositions à la condition que le montant du chiffre d’affaires procuré par cette activité représente au moins 50 % du montant du chiffre d’affaires total et à la condition que le montant de l’actif brut immobilisé représente au moins 50 % du montant total de l’actif brut, la cour d’appel, qui s’est déterminé par des motifs impropres à établir que la société Parasol production avait pour activité principale une activité commerciale, a violé l’article 885 I bis du code général des impôts. »

Motivation

Réponse de la Cour

Vu l’article 885 I bis du code général des impôts, alors applicable :

9. Selon ce texte, les parts ou les actions d’une société ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale qui ont fait l’objet d’un engagement collectif de conservation présentant certaines caractéristiques ne sont pas comprises dans les bases d’imposition à l’ISF à concurrence des trois quarts de leur valeur si certaines conditions sont réunies.

10. Il en résulte que ce régime de faveur peut également s’appliquer aux parts ou actions de sociétés qui, ayant pour partie une activité civile autre qu’agricole ou libérale, exercent principalement une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, cette prépondérance s’appréciant en considération d’un faisceau d’indices déterminés d’après la nature de l’activité et les conditions de son exercice.

11. Pour rejeter les demandes de M. [H] tendant au dégrèvement intégral des impositions supplémentaires mises à sa charge, l’arrêt, après avoir énoncé, par motifs propres et adoptés, que le caractère prépondérant de l’activité industrielle, commerciale, agricole ou libérale peut être retenu si le chiffre d’affaires procuré par cette activité représente au moins 50 % de son chiffre d’affaires total et si le montant de l’actif brut immobilisé est supérieur à 50 % du montant total de l’actif brut, puis relevé que la société Parasol production développe une activité commerciale de prestations de services rendues dans le domaine de l’audiovisuel et une activité civile de gestion de patrimoine, retient, que M. [H] ne rapporte pas la preuve que les actifs affectés à l’activité commerciale représenteraient plus de 50 % de son actif brut et que l’actif brut de la société Parasol production serait majoritairement constitué de valeurs mobilières de placement ne présentant pas un caractère professionnel.

12. En se déterminant ainsi, sans examiner, comme il lui incombait, l’ensemble des indices dont se prévalait le contribuable pour démontrer le caractère principalement commercial de la société, en particulier les éléments relatifs à la nature de l’activité exercée et les conditions de son exercice, et sans rechercher, comme elle y était invitée, si les liquidités et titres de placement inscrits au bilan de la société Parasol production constituaient des actifs dont l’acquisition découlait de son activité sociale, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.

Dispositif

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 14 mars 2022, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ;

(…)








 

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