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Procédure de restitution d’une TVA facturée à tort : l’acquéreur doit prioritairement s’adresser à son fournisseur

CE, 29 novembre 2023, n° 469111, Etablissement français du sang : le Conseil d’Etat juge que l’acquéreur d’un bien sur lequel le fournisseur a perçu une TVA indue doit, pour obtenir la restitution du trop-versé, se tourner non vers l’administration, mais vers le fournisseur, même lorsque l’erreur n’est pas imputable à ce dernier.

Il est fréquent que le fournisseur de biens ou de services facture une TVA à tort, soit du fait d’une erreur commise sur le taux applicable ou le champ de la taxe, soit même parce qu’il fait application d’une loi française qui, en violation de la directive TVA, refuse l’octroi d’une exonération ou d’un taux réduit.

Dans l’affaire qui a donné lieu à la décision commentée, le Conseil d’Etat a été saisi de ce second cas de figure. En l’espèce, l’établissement français du sang avait facturé, sur ses ventes de produits sanguins, une TVA au taux super-réduit de 2,1 % en application des dispositions législatives en vigueur (art. 281 octies du CGI dans sa rédaction applicable jusque fin 2021), alors que la directive TVA prévoit l’exonération de ces ventes. Il a rejeté les demandes de restitution que lui ont présentées les acquéreurs de ces produits, en considérant qu’il revenait à l’Etat d’y faire droit.

Il est donc revenu au juge de l’impôt de clarifier vers qui l’acquéreur doit, dans une telle situation, se tourner pour obtenir la restitution de la TVA indûment versée.

Pour répondre à cette question, le Conseil d’Etat se fonde sur la jurisprudence de la CJUE (15 mars 2007, Reemtsma Cigarettenfabriken GmbH, C-35/05), selon laquelle, en principe, l’acquéreur demande au fournisseur le remboursement de la taxe qu’il a indûment supportée. C’est seulement si la restitution de la TVA « devient impossible ou excessivement difficile, notamment en cas d’insolvabilité du vendeur », que le principe d’effectivité du droit de l’UE peut exiger que l’acquéreur puisse présenter sa demande de restitution directement aux autorités fiscales nationales, lesquelles peuvent, avant d’accorder la restitution demandée, vérifier que le risque de perte de recettes fiscales a été préalablement éliminé, notamment du fait que l’auteur de la facture erronée a reversé au Trésor public la taxe indûment collectée.

Ainsi, en l’espèce, il en déduit que le juge de l’impôt était fondé à juger qu’il appartenait aux acquéreurs de produits sanguins de demander à l’Etablissement français du sang, par la voie d’une action civile en répétition de l’indu, le remboursement de la TVA facturée à tort sur ces produits, et que l’EFS ne peut opposer à de telles demandes ni la correcte exécution du contrat de vente, ni l’exception de recours parallèle de la procédure fiscale de restitution d’impositions indues prévue par l’article L. 190 du LPF.

Bien sûr, dès lors que la facturation indue résultait en l’espèce d’une violation de la directive TVA par la loi française, le Conseil d’Etat ajoute que ces principes, guidant la procédure de restitution de la taxe, s’appliquent sans préjudice d’une éventuelle action mettant en cause la responsabilité de l’Etat.

Nota : La rubrique “En pratique” est conçue pour permettre aux professionnels de la fiscalité d’appréhender rapidement les conséquences pratiques d’un texte afin d’en faciliter la lecture et la mémorisation. De par sa nature, le contenu de cette rubrique peut être réducteur. De plus, elle est rédigée en simultané avec le texte principal et n’est pas mise à jour en fonction de l’évolution des textes, ni de leur interprétation par la jurisprudence ou la doctrine.

Compte tenu de la sensibilité, de la variété des situations, des enjeux et de l’évolution constante de la matière fiscale, il est recommandé aux non-spécialistes de consulter un professionnel, le plus souvent un avocat fiscaliste, pour assurer la sécurité juridique de leurs opérations. La rédaction décline toute responsabilité quant à l’application des mesures présentées dans la rubrique “En pratique”.

(…)

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l’Etablissement français du sang, chargé du service public transfusionnel, a vendu à la société Polyclinique Les Fleurs, au cours des années 2015 à 2018, des produits dérivés du sang humain, dits  » produits sanguins labiles « , en soumettant ces livraisons à la taxe sur la valeur ajoutée au taux de 2,10 % en application des dispositions l’article 281 octies du code général des impôts dans leur rédaction alors applicable. La société Polyclinique Les Fleurs a demandé en 2019 à l’Etablissement français du sang de lui rembourser la taxe qu’elle estimait avoir supporté à tort sur ces livraisons. Sa demande ayant été rejetée, la société Polyclinique Les Fleurs a porté le litige devant le tribunal administratif de Toulon. Par une ordonnance du 18 février 2021, le magistrat désigné par la présidente de ce tribunal a rejeté sa demande. Par un arrêt du 22 septembre 2022, la cour administrative d’appel de Marseille a fait droit à l’appel formé par la société Polyclinique Les Fleurs contre cette ordonnance et condamné l’Etablissement français du sang à lui verser la somme de 23 373,48 euros en restitution de l’indu correspondant à la taxe sur la valeur ajoutée facturée à tort.

Sur l’assujettissement des livraisons de produits sanguins labiles à la taxe sur la valeur ajoutée :

2. Les dispositions du d du 1 de l’article 132 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, transposées par les dispositions du 2° du 4 de l’article 261 du code général des impôts, prévoient que les livraisons de sang humain sont exonérées de la taxe sur la valeur ajoutée. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne et notamment de l’arrêt du 5 octobre 2016 TMD Gesellschaft für transfusionsmedizinische Dienste mbH C-412/15 que sont inclus dans le champ de cette exonération les livraisons de produits sanguins labiles destinés à un usage thérapeutique direct.

3. Par suite, les dispositions de l’article 281 octies du code général des impôts dans leur rédaction en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021, aux termes desquelles :  » La taxe sur la valeur ajoutée est perçue au taux de 2,10 % pour les livraisons portant (…) sur les produits visés au 1° (…) de l’article L. 1221-8 du code de la santé publique. (…) « , c’est-à-dire les  » produits sanguins labiles, comprenant notamment le sang total, le plasma dans la production duquel n’intervient pas un processus industriel, quelle que soit sa finalité, et les cellules sanguines d’origine humaine « , étaient contraires aux dispositions du d du 1 de l’article 132 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 en tant qu’elles assujettissaient à la taxe sur la valeur ajoutée les produits sanguins labiles destinés à un usage thérapeutique direct.

Sur le droit à restitution de la taxe sur la valeur ajoutée facturée à tort :

4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, jusqu’au mois de décembre 2018, l’Etablissement français du sang a facturé les produits sanguins labiles à usage thérapeutique qu’il livrait en soumettant ces livraisons à la taxe sur la valeur ajoutée au taux de 2,10 % en application des dispositions de l’article 281 octies du code général des impôts, dans leur rédaction alors en vigueur, et de celles de l’article 4 de l’arrêté du 9 mars 2010 relatif au tarif de cession des produits sanguins labiles, dans sa rédaction en vigueur jusqu’au 26 décembre 2018. Il résulte de ce qui a été dit au point 3 et n’est pas contesté que cette taxe sur la valeur ajoutée a été facturée en méconnaissance du droit de l’Union européenne.

5. D’une part, aux termes du premier alinéa de l’article 1302 du code civil :  » (…) ce qui a été reçu sans être dû est sujet à restitution « . Aux termes de l’article 1302-1 du même code :  » Celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû doit le restituer à celui de qui il l’a indûment reçu « .

6. D’autre part, il résulte de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, telle qu’interprétée par la Cour de justice de l’Union européenne notamment dans son arrêt du 15 mars 2007 Reemtsma Cigarettenfabriken GmbH C-35/05, que, lorsque l’acquéreur d’un bien a versé au fournisseur la taxe sur la valeur ajoutée mentionnée à tort sur les factures émises par ce dernier, il ne peut se prévaloir d’un droit à déduction de cette taxe. Les autorités fiscales nationales sont, dès lors, fondées à refuser à l’acquéreur l’exercice de ce droit ainsi que, le cas échéant, la restitution du crédit de taxe déductible qui en découle. En revanche, l’acquéreur peut demander au fournisseur le remboursement de la taxe qu’il a indûment supportée. Si la restitution de la taxe sur la valeur ajoutée devient impossible ou excessivement difficile, notamment en cas d’insolvabilité du vendeur, le principe d’effectivité peut exiger que l’acquéreur puisse présenter sa demande de restitution directement aux autorités fiscales nationales lesquelles peuvent, avant d’accorder la restitution demandée, vérifier que le risque de perte de recettes fiscales a été préalablement éliminé, notamment du fait que l’auteur de la facture erronée a reversé au Trésor public la taxe indûment collectée.

7. Conformément à ce qui a été dit au point 6, pour obtenir la restitution de la taxe sur la valeur ajoutée qui lui a été facturée à tort, l’acquéreur doit prioritairement s’adresser, y compris le cas échéant par la voie juridictionnelle, à son fournisseur si celui-ci n’a pas pris l’initiative de lui rembourser l’indu correspondant, et, seulement à titre subsidiaire, à l’administration fiscale si l’obtention de la restitution de la taxe indue auprès du fournisseur est impossible ou excessivement difficile.

8. Par suite, en jugeant que la société Polyclinique Les Fleurs avait pu, par la voie d’une action civile en restitution de l’indu, demander à l’Etablissement français du sang le remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée facturée à tort sur les livraisons de produits sanguins labiles, sans que puisse lui être opposées ni la correcte exécution du contrat, ni l’exception de recours parallèle de la procédure fiscale de restitution d’impositions indues prévue par l’article L. 190 du livre des procédures fiscales et sans préjudice d’une éventuelle action mettant en cause la responsabilité de l’Etat, la cour, qui a suffisamment motivé sa décision, n’a pas commis d’erreur de droit ni inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.

(…)

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