On sait que l’article 206 du CGI, en son paragraphe 1, soumet à l’impôt sur les sociétés non seulement les SA, SCA et SARL, mais aussi les autres personnes morales se livrant à une exploitation lucrative.
Par la décision commentée, le Conseil d’Etat livre un mode d’emploi de ces dispositions lorsque sont en cause des sociétés de droit étranger ayant une activité immobilière en France. Il apporte en effet deux précisions intéressantes sur la portée de cette règle de champ de l’IS, à la faveur d’un litige portant sur une Limited liability company californienne propriétaire d’immeubles en France mis à la disposition gratuite de tiers (dont les parents d’un associé), qui avait fait l’objet d’un redressement sur les loyers qu’elle avait, selon l’administration, renoncé à percevoir.
En premier lieu, le Conseil d’Etat juge qu’une telle mise à disposition gratuite ne saurait caractériser, par elle-même, une activité lucrative au sens du 1 de l’article 206 du CGI. Il écarte à cet égard les deux arguments avancés par l’administration au cours du litige : ni la circonstance que l’objet social de la société incluait l’achat, la location et la revente de biens immobiliers, ni celle que les parents de l’associé mettaient à leur tour à la disposition de leur salarié chargé d’entretenir la propriété et d’assurer son gardiennage, à titre d’avantage en nature, une partie des biens en cause, ne permet de regarder la société comme se livrant à une activité lucrative.
En second lieu, il confirme que ce critère de lucrativité s’applique aux personnes morales de droit étranger comme aux personnes morales de droit français. Ainsi, pour déterminer si une personne morale de droit étranger doit être soumise à l’IS sur le fondement du 1 de l’article 206 du CGI, il convient d’abord de rechercher si elle est assimilable à l’un des types de sociétés françaises passibles de l’IS (SA, SCA ou SARL), « au regard de l’ensemble de ses caractéristiques et du droit qui en régit la constitution et le fonctionnement ». Ici, le Conseil d’Etat fait application de la méthode de qualification des sociétés de droit étranger résultant d’une jurisprudence SA Artémis (CE, plén., 24 nov. 2014, n° 363556), selon laquelle il appartient au juge de l’impôt, saisi d’un litige portant sur le traitement fiscal d’une opération impliquant une telle société, d’identifier dans un premier temps, au regard de l’ensemble des caractéristiques de cette société et du droit qui en régit la constitution et le fonctionnement, le type de société de droit français auquel la société de droit étranger est assimilable. Compte tenu de ces constatations, il lui revient ensuite de déterminer le régime applicable à l’opération litigieuse au regard de la loi fiscale française.
En l’espèce, il n’était pas contesté que la LLC californienne ne pouvait être assimilée à ces catégories de sociétés françaises.
Ensuite, il convient de rechercher si la personne morale étrangère se livre à une exploitation lucrative, dans les mêmes conditions que pour les personnes morales de droit français. En l’espèce, vu son activité de mise à disposition à titre gratuit d’immeubles, ce n’était pas le cas.
En pratique
Les personnes morales de droit étranger se livrant à des activités françaises ne sauraient donc, pour déterminer leurs obligations fiscales en France, se limiter à l’exercice de comparaison avec les sociétés de capitaux françaises : elles doivent aussi vérifier si leur activité est lucrative.
Inscrivez-vous à la Newsletter
Nota : La rubrique “En pratique” est conçue pour permettre aux professionnels de la fiscalité d’appréhender rapidement les conséquences pratiques d’un texte afin d’en faciliter la lecture et la mémorisation. De par sa nature, le contenu de cette rubrique peut être réducteur. De plus, elle est rédigée en simultané avec le texte principal et n’est pas mise à jour en fonction de l’évolution des textes, ni de leur interprétation par la jurisprudence ou la doctrine.
Compte tenu de la sensibilité, de la variété des situations, des enjeux et de l’évolution constante de la matière fiscale, il est recommandé aux non-spécialistes de consulter un professionnel, le plus souvent un avocat fiscaliste, pour assurer la sécurité juridique de leurs opérations. La rédaction décline toute responsabilité quant à l’application des mesures présentées dans la rubrique “En pratique”.
(…)
1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que la société Carmejane LLC, » limited liability company » de droit américain dont le siège est situé dans l’Etat de Californie (Etats-Unis), a été assujettie à des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2011 et 2012, établies par voie d’évaluation d’office en application des dispositions de l’article L. 74 du livre des procédures fiscales et assorties des pénalités prévues par l’article 1732 du code général des impôts en cas d’opposition à contrôle fiscal, procédant de sa soumission à cet impôt à raison du montant des loyers qu’elle avait, selon l’administration, renoncé à percevoir des parents de l’un de ses associés, M. A…. Cette société se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 17 mars 2022 par lequel la cour administrative d’appel de Marseille a rejeté l’appel qu’elle avait formé contre le jugement du 4 octobre 2019 du tribunal administratif de Nîmes en tant que celui-ci, après avoir prononcé un non-lieu à statuer sur ses conclusions relatives aux pénalités, dégrevées par l’administration en cours d’instance, a rejeté le surplus de sa demande tendant à la décharge de ces impositions supplémentaires.
2. Aux termes du 1 de l’article 206 du code général des impôts : » Sous réserve des dispositions des articles 8 ter, 239 bis AA, 239 bis AB et 1655 ter, sont passibles de l’impôt sur les sociétés, quel que soit leur objet, les sociétés anonymes, les sociétés en commandite par actions, les sociétés à responsabilité limitée n’ayant pas opté pour le régime fiscal des sociétés de personnes (…) et toutes autres personnes morales se livrant à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif « . Ces dispositions prévoient l’assujettissement à l’impôt sur les sociétés, au-delà des sociétés qu’elles désignent expressément, de toutes les personnes morales qui se livrent à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif.
3. Il appartient au juge de l’impôt, saisi d’un litige portant sur le traitement fiscal d’une opération impliquant une société de droit étranger, d’identifier dans un premier temps, au regard de l’ensemble des caractéristiques de cette société et du droit qui en régit la constitution et le fonctionnement, le type de société de droit français auquel la société de droit étranger est assimilable. Compte tenu de ces constatations, il lui revient ensuite de déterminer le régime applicable à l’opération litigieuse au regard de la loi fiscale française.
4. Après avoir estimé, par des motifs non contestés en cassation, que la société Carmejane LLC ne pouvait, au regard de l’ensemble de ses caractéristiques et du droit qui en régit la constitution et le fonctionnement, être assimilée à l’un des types de sociétés de droit français passibles de l’impôt sur les sociétés, la cour a recherché si elle se livrait à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif. Elle a, à cet égard, relevé que cette société était propriétaire, à Ménerbes (Vaucluse), d’une part, d’un ensemble immobilier situé rue de l’Eglise, d’autre part, d’une maison située rue Sainte Barbe, et que ces biens immobiliers étaient mis à la disposition gratuite des parents de son associé, M. A…. Elle a également relevé que les parents de ce dernier occupaient l’ensemble immobilier situé rue de l’Eglise à titre de résidence principale et avaient attribué, comme logement de fonction au titre d’un avantage en nature, la maison située rue Sainte Barbe à leur employé et sa compagne, qui n’étaient ni associés ni en lien de parenté avec les associés. Pour juger que, dans ces conditions, la société Carmejane LLC était passible de l’impôt sur les sociétés en France, la cour s’est fondée sur ce que, compte tenu de son objet social, qui inclut notamment l’achat, la location et la revente de biens immobiliers, la mise à disposition à titre gracieux de tels biens au profit des parents de son dirigeant ainsi que de tiers, devait être regardée comme une opération de caractère lucratif au sens et pour l’application du 1 de l’article 206 du code général des impôts. En statuant ainsi, alors que la mise à disposition à titre gratuit par une société de biens immobiliers aux parents de son associé à titre de résidence principale ne saurait caractériser, par elle-même, une activité lucrative, sans qu’ait d’incidence à cet égard la circonstance que ces derniers mettent à leur tour à la disposition de leur salarié chargé d’entretenir la propriété et d’assurer son gardiennage, à titre d’avantage en nature, une partie des biens en cause, la cour a donné aux faits de l’espèce une inexacte qualification juridique.
5. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, que la société Carmejane LLC est fondée à demander, pour ce motif, l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque.
(…)
Il n'y a pas encore de commentaire.