En pratique
Le fait d’imposer les héritiers du constituant d’un trust sur l’ensemble des biens mis en trust dont le défunt ne s’était pas dessaisi n’est pas contraire au principe d’égalité devant les charges publiques.
A la faveur d’une QPC, la Cour de cassation confirme l’interprétation stricte qu’elle fait des possibilités d’imposition des avoirs en trusts en matière de droits de mutation à titre gratuit, selon laquelle cette imposition n’est possible que si le défunt ne s’était pas dessaisi des biens en cause. Elle statue ici sous l’empire des textes antérieurs à la loi du 29 juillet 2011 qui a refondu le régime fiscal des trusts, si bien que la solution qu’elle retient ne préjuge pas de celle devant prévaloir pour l’application des textes actuels.
En l’espèce, le défunt, décédé en 2001, avait placé des biens dans différents trusts soumis au droit des Bermudes et de Guernesey. Par une proposition de rectification notifiée dix ans plus tard, l’administration a réintégré ces biens dans l’actif de la succession et prononcé un rappel de droits de succession. Le juge d’appel a confirmé ce redressement au motif que le défunt ne s’était pas irrévocablement dessaisi de ces biens.
A l’appui de son pourvoi en cassation, le requérant a, par une question prioritaire de constitutionnalité, contesté la conformité de l’article 750 ter du CGI au regard du principe d’égalité devant les charges publiques, en tant qu’il conduit à imposer l’héritier sur des biens apportés par le défunt au trust et qui ne sont pas dévolus à cet héritier lors du décès.
Pour juger cette QPC non-sérieuse, la chambre commerciale de la Cour de cassation mobilise l’interprétation livrée par la chambre criminelle de cette même Cour (Cass. crim., 6 janvier 2021, n° 18-84.570), selon laquelle l’imposition des biens mis en trust suppose de vérifier que le défunt ne s’en est pas dessaisi : « il appartient au juge d’analyser le fonctionnement concret du trust concerné afin de rechercher si le constituant a, dans les faits, continué à exercer à l’égard des biens placés dans le trust des prérogatives qui sont révélatrices de l’exercice du droit de propriété, de telle sorte qu’il ne peut être considéré comme s’en étant véritablement dessaisi et que ce n’est que lorsque le constituant du trust ne s’est pas irrévocablement et effectivement dessaisi des biens qu’il y a placés que ses héritiers sont tenus de les déclarer à l’administration fiscale lors de la succession ».
Elle en déduit que les héritiers n’ont à s’acquitter de droits de succession que sur des biens qui sont restés la propriété du constituant du trust et leur ont été transmis au décès. Dès lors, elle estime que la disposition contestée, ainsi interprétée, ne porte pas atteinte à l’exigence de prise en compte des facultés contributives, peu important, selon l’arrêt, que le trust continue de produire ses effets après le décès de son constituant ou que les héritiers du constituant ne soient pas les bénéficiaires du trust.
Cette décision est rendue sous l’empire de l’article 750 ter dans sa rédaction antérieure à 2011 ; il restera donc à déterminer dans quelle mesure elle est transposable à la législation refondue par la loi du 29 juillet 2011 de finances rectificative pour 2011.
1. [C] [U], domicilié en France, est décédé le [Date décès 3] 2001, en laissant pour lui succéder, notamment, son fils M. [F] [U] (M. [U]).
2. Le 29 juillet 2011, l’administration fiscale a adressé à ce dernier une proposition de rectification portant réintégration dans l’actif de la succession de biens que le défunt avait placés dans des trusts et rappel subséquent de droits de mutation à titre gratuit.
3. Après le rejet de sa réclamation contentieuse, M. [U] a assigné l’administration fiscale en décharge des suppléments de droits mis en recouvrement.
4. Ayant retenu que [C] [U] ne s’était pas irrévocablement dessaisi des biens placés dans les trusts dénommés 1989 David Trust et Delta Trust, le premier soumis au droit des Bermudes puis au droit de Guernesey, le second au droit des Bermudes, la cour d’appel a rejeté les demandes de M. [U].
Motivation
Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité
5. A l’occasion du pourvoi qu’il a formé contre les arrêts rendus les 5 février et 29 avril 2024 par la cour d’appel de Paris, M. [U] a, par mémoire distinct et motivé, demandé de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée :
« Les dispositions du 1° [de] l’article 750 ter du code général des impôts, en leur version applicable avant la loi du 29 juillet 2011, portent-elles atteinte au principe constitutionnel d’égalité devant les charges publiques découlant de l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 lorsqu’elles sont interprétées de telle sorte que l’héritier d’une personne ayant constitué un trust qui ne s’éteint pas au décès de cette dernière est redevable des droits de mutation à titre gratuit sur des biens qui ont été apportés au trust et qui ne sont pas dévolus à cet héritier à raison de ce décès ? »
Examen de la question prioritaire de constitutionnalité
6. La disposition contestée est applicable au litige, qui concerne la contestation, par M. [U], d’un rappel de droits de mutation à titre gratuit mis à sa charge par l’administration fiscale en application de l’article 750 ter, 1°, du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi n° 98-1266 du 30 décembre 1998.
7. Elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel.
8. Cependant, d’une part, la question posée, ne portant pas sur l’interprétation d’une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n’aurait pas encore eu l’occasion de faire application, n’est pas nouvelle.
9. D’autre part, la question posée ne présente pas un caractère sérieux.
10. En effet, l’exigence de prise en compte des facultés contributives, qui résulte du principe d’égalité devant les charges publiques, implique qu’en principe, lorsque la perception d’un revenu ou d’une ressource est soumise à une imposition, celle-ci doit être acquittée par celui qui dispose de ce revenu ou de cette ressource.
11. Or, il résulte de la disposition contestée, telle qu’interprétée de façon constante par la Cour de cassation (Crim., 6 janvier 2021, pourvoi n° 18-84.570, publié), qu’il appartient au juge d’analyser le fonctionnement concret du trust concerné afin de rechercher si le constituant a, dans les faits, continué à exercer à l’égard des biens placés dans le trust des prérogatives qui sont révélatrices de l’exercice du droit de propriété, de telle sorte qu’il ne peut être considéré comme s’en étant véritablement dessaisi et que ce n’est que lorsque le constituant du trust ne s’est pas irrévocablement et effectivement dessaisi des biens qu’il y a placés que ses héritiers sont tenus de les déclarer à l’administration fiscale lors de la succession.
12. Ainsi, les héritiers n’ont à s’acquitter de droits de mutation à titre gratuit que sur des biens qui sont restés la propriété du constituant du trust et leur ont été transmis par le décès de ce dernier, de sorte que la disposition contestée, dans la portée effective que lui confère l’interprétation jurisprudentielle en cause, ne porte pas atteinte à l’exigence de prise en compte des facultés contributives, peu important que le trust continue de produire ses effets après le décès de son constituant ou que les héritiers du constituant ne soient pas les bénéficiaires du trust.
13. En conséquence, il n’y a pas lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.
Nota : La rubrique “En pratique” est conçue pour permettre aux professionnels de la fiscalité d’appréhender rapidement les conséquences pratiques d’un texte afin d’en faciliter la lecture et la mémorisation. De par sa nature, le contenu de cette rubrique peut être réducteur. De plus, elle est rédigée en simultané avec le texte principal et n’est pas mise à jour en fonction de l’évolution des textes, ni de leur interprétation par la jurisprudence ou la doctrine.
Compte tenu de la sensibilité, de la variété des situations, des enjeux et de l’évolution constante de la matière fiscale, il est recommandé aux non-spécialistes de consulter un professionnel, le plus souvent un avocat fiscaliste, pour assurer la sécurité juridique de leurs opérations. La rédaction décline toute responsabilité quant à l’application des mesures présentées dans la rubrique “En pratique”.
Il n'y a pas encore de commentaire.