En pratique
Une convention écrite de quasi-usufruit notariée ou enregistrée doit être établie pour que la dette de restitution à la charge de l’usufruitier puisse être déduite de l’actif successoral au décès de celui-ci.
Par cet arrêt publié au bulletin, la Cour de cassation apporte une précision inédite quant aux conditions de déduction, en matière de droits de succession, des dettes de restitution à la charge de l’usufruitier défunt.
En l’espèce, au décès de l’épouse, les héritiers avaient opté pour l’usufruit sur la totalité des biens de la succession, qui comprenaient notamment des comptes titres. Neuf ans plus tard, au décès du veuf, ses enfants ont porté au passif de la déclaration de succession une dette de restitution représentative des sommes figurant sur les comptes bancaires au jour du décès de son épouse.
L’administration fiscale a remis en cause la déduction de cette créance de restitution sur la base de l’article 768 du CGI, qui exige, pour que les dettes à la charge du défunt puissent être déduites, que leur existence soit dûment justifiée « par tous modes de preuve compatibles avec la procédure écrite ». Elle a considéré qu’en l’absence de convention de quasi-usufruit notariée ou enregistrée, les conditions formelles de déduction prévues par cette disposition législative n’étaient pas remplies. Selon elle, le quasi-usufruit conventionnel ne se présumant pas, il doit faire l’objet d’une convention écrite, si bien que la déduction de la créance de restitution correspondante n’est permise qu’en présence d’un acte authentique ou sous seing privé dûment enregistré.
Après rejet de leur réclamation, les héritiers ont saisi le juge de l’impôt qui, en appel, leur avait donné raison et avait dégrevé les redressements (cour d’appel de Rennes, 15 nov. 2022). La cour d’appel a en effet relevé que la déclaration de succession de l’épouse faisait apparaître le montant des valeurs mobilières présentes dans la succession au jour de son décès et dont le montant n’était pas contesté par l’administration fiscale. Elle en a déduit que la dette de restitution pouvait être calculée sur ces valeurs mobilières identifiées précisément et quantifiées avec exactitude, et que la preuve du montant des valeurs mobilières sur lesquelles portait l’usufruit était rapportée.
Sur un pourvoi de l’administration, la Cour de cassation casse cet arrêt pour méconnaissance de l’article 768 du CGI.
Elle juge que la déclaration de succession ne constitue pas une preuve suffisante : selon les termes de son arrêt, s’agissant d’un usufruit légal portant sur un portefeuille de valeurs mobilières, « la seule déclaration de succession, identifiant et renseignant exactement le montant des valeurs mobilières au jour du décès, ne peut établir, à elle seule, le caractère certain de la dette de restitution consécutive à la disparition, constatée à la fin de l’usufruit, du portefeuille de valeurs mobilières et en permettre la déduction ».
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Compte tenu de la sensibilité, de la variété des situations, des enjeux et de l’évolution constante de la matière fiscale, il est recommandé aux non-spécialistes de consulter un professionnel, le plus souvent un avocat fiscaliste, pour assurer la sécurité juridique de leurs opérations. La rédaction décline toute responsabilité quant à l’application des mesures présentées dans la rubrique “En pratique”.
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Rennes, 15 novembre 2022), [O] [Y] est décédée le [Date décès 3] 2007, en laissant pour lui succéder son époux, [V] [U], ainsi que leurs deux enfants, [V] [P] et [D] [U], (les consorts [U]). [V] [U] a opté pour l’usufruit sur la totalité des biens de la succession. A l’actif de la communauté, figuraient divers comptes bancaires, parmi lesquels plusieurs comptes titres.
2. [V] [U] est décédé le [Date décès 4] 2016, en laissant pour lui succéder ses deux enfants. Le 27 avril 2017, la déclaration de succession a été enregistrée auprès du service des impôts. Une somme de 168 109,05 euros a été portée au passif de la succession au titre d’une créance de restitution représentative des sommes et éléments figurant sur les comptes bancaires au jour du décès de [O] [U], dont [V] [U] s’était vu attribuer l’usufruit.
3. Le 18 septembre 2017, l’administration fiscale a remis en cause la déduction de la créance de restitution, considérant que les comptes titres figurant à l’actif de la succession de [O] [U] n’avaient pas fait l’objet d’une convention de quasi-usufruit notariée ou enregistrée, réduisant ainsi la créance de restitution de la somme de 168 109,05 euros à celle de 3 806 euros, correspondant aux liquidités. Le 9 février 2018, elle a émis un avis de mise en recouvrement (AMR) pour un montant de 32 860 euros au titre des droits supplémentaires, outre 1 183 euros d’intérêts de retard.
4. Le 11 juillet 2018, l’administration fiscale a rejeté la réclamation contentieuse des consorts [U], lesquels l’ont alors assignée en nullité de la procédure de rectification et, à défaut, en dégrèvement total de l’imposition.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. L’administration fiscale fait grief à l’arrêt de prononcer le dégrèvement total de l’imposition supplémentaire mise à la charge des consorts [U], alors « que le quasi-usufruit conventionnel ne se présumant pas, il doit faire l’objet d’une convention écrite, qu’en conséquence, la déduction de la créance de restitution correspondante n’est permise qu’en présence d’un acte authentique ou sous seing privé dûment enregistré ; qu’en jugeant que la déclaration de succession, identifiant et renseignant exactement le montant des valeurs mobilières au jour du décès, est suffisante à autoriser la déduction de la créance de restitution à cette date, la cour d’appel de Rennes a violé les articles 587 du code civil et 773, 2°, du code général des impôts et fait une fausse interprétation des principes jurisprudentiels en la matière. »
Réponse de la Cour
Vu l’article 768 du code général des impôts :
6. Aux termes de ce texte, pour la liquidation des droits de mutation par décès, les dettes à la charge du défunt sont déduites lorsque leur existence au jour de l’ouverture de la succession est dûment justifiée par tous modes de preuve compatibles avec la procédure écrite.
7. Pour prononcer le dégrèvement total de l’imposition supplémentaire mise à la charge des consorts [U], l’arrêt, après avoir relevé que la déclaration de succession de [O] [Y] faisait apparaître le montant des valeurs mobilières présentes dans la succession au jour de son décès et dont le montant n’était pas contesté par l’administration fiscale, retient que la dette de restitution peut être calculée sur ces valeurs mobilières identifiées précisément et quantifiées avec exactitude pour en déduire que la preuve du montant des valeurs mobilières sur lesquelles portait l’usufruit d'[V] [U] est rapportée par les consorts [U], de sorte que la créance de restitution a été exactement calculée.
8. En statuant ainsi, alors que, s’agissant d’un usufruit légal portant sur un portefeuille de valeurs mobilières, la seule déclaration de succession, identifiant et renseignant exactement le montant des valeurs mobilières au jour du décès, ne peut établir, à elle seule, le caractère certain de la dette de restitution consécutive à la disparition, constatée à la fin de l’usufruit, du portefeuille de valeurs mobilières et en permettre la déduction, la cour d’appel a violé le texte susvisé.
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