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Régime mère-fille et filiales étrangères : invalidation de la position de l’administration

CE, 18 février 2025, SA Legrand, n° 490792 : le Conseil d’Etat consacre, sur la base des conventions fiscales, le droit au remboursement de la quote-part pour frais et charges pour les dividendes en provenance de certains pays tiers conventionnés avec la France, lorsque la société distributrice remplit les seuils de l’intégration fiscale.

Le litige avait été initié par une société française, membre d’un groupe fiscalement intégré, qui avait perçu des dividendes en provenance de filiales établies au Chili, qu’elle a placés sous le bénéfice du régime mère-fille. Par réclamation, elle a sollicité la restitution de l’IS correspondant à la quote-part pour frais et charges en invoquant la convention fiscale franco-chilienne. Si le TA de Montreuil lui a d’abord donné raison, la cour administrative d’appel de Paris a en revanche fait droit à l’appel du ministre.

Par sa décision du 18 février 2025, le Conseil d’Etat fait droit au pourvoi de la société et casse l’arrêt rendu par la CAA de Paris.

A l’appui de sa contestation, la société invoquait l’article 22 de la convention fiscale franco-chilienne, relatif à l’élimination des doubles impositions, selon lequel les dividendes payés par une société chilienne à une société française sont exonérés d’impôt en France dans les mêmes conditions que si la société qui paye les dividendes était un résident de France ou d’un autre Etat membre de l’Union européenne.

Se fondant sur ces stipulations, le Conseil d’Etat juge d’abord que les dividendes distribués par une société chilienne doivent faire l’objet, entre les mains de la société française bénéficiaire, d’une exonération équivalente à celle qui serait applicable si la distribution était opérée par une société établie en France ou dans un autre Etat membre de l’UE.

Or, il constate que la réintégration de la quote-part pour frais et charges est neutralisée lorsque la distribution provient d’une filiale établie en France appartenant au groupe fiscalement intégré ou, en application de la jurisprudence Steria de la CJUE (2 septembre 2015, Société Steria, aff. C-386/14), d’une filiale établie dans un autre Etat membre de l’UE détenue à plus de 95 %.

Il en déduit que la convention impose « qu’une neutralisation de la quote-part soit opérée dans la même mesure pour ce qui concerne les dividendes distribués par une filiale établie au Chili et qui, si elle était établie en France, satisferait aux conditions subordonnant l’appartenance au groupe fiscalement intégré ». Ainsi, lorsque la filiale étrangère remplit les conditions pour être intégrée, la neutralisation « Steria » doit être respectée.

Pour ce motif, le Conseil d’Etat casse l’arrêt d’appel : il juge que, en se fondant, pour accueillir l’appel du ministre, sur ce que la convention franco-chilienne n’avait pas pour objet de permettre à la société-mère française, en application du régime d’intégration fiscale, de défalquer la quote-part pour frais et charges de son bénéfice consolidé, alors que ces stipulations sont susceptibles d’avoir un tel effet, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit.

Cet arrêt du Conseil d’Etat met fin à une divergence d’interprétation importante sur la portée des conventions fiscales, en consacrant l’extension de la neutralisation « Steria » à certains pays tiers. Sa transposition aux conventions conclues avec d’autres Etats suppose toutefois une lecture attentive des stipulations de chaque convention.


1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Legrand France, qui est membre d’un groupe fiscalement intégré dont la tête est la société Legrand, a perçu en 2015 des dividendes en provenance de filiales établies au Chili, qu’elle a placés sous le régime des sociétés mères prévu aux articles 145 et 216 du code général des impôts. Conformément aux dispositions du I de ce dernier article, elle a exclu le montant de ces dividendes de son bénéfice net, à l’exception d’une quote-part de frais et charges de 5 %. Par une réclamation du 23 février 2018, la société Legrand a demandé la restitution de la fraction de la cotisation primitive d’impôt sur les sociétés à laquelle elle été assujettie au titre de l’exercice clos en 2015 correspondant à la réintégration de cette quote-part. Après le rejet de cette réclamation, elle a porté le litige devant le tribunal administratif de Montreuil, lequel, par un jugement du 3 décembre 2020, a fait droit à sa demande de restitution, à hauteur d’une somme de 1 029 472 euros. La société Legrand se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 10 novembre 2023 par lequel la cour administrative d’appel de Paris a, sur appel du ministre de l’économie, des finances et de la relance, annulé les articles 1er et 2 de ce jugement et remis à sa charge l’imposition en litige.

2. D’une part, aux termes du I de l’article 216 du code général des impôts :  » Les produits nets des participations, ouvrant droit à l’application du régime des sociétés mères et visés à l’article 145, touchés au cours d’un exercice par une société mère peuvent être retranchés du bénéfice net total de celle-ci, défalcation faite d’une quote-part de frais et charges. / La quote-part de frais et charges visée au premier alinéa est fixée uniformément à 5 % du produit total des participations (…) « . Compte tenu du caractère forfaitaire de la quote-part des produits de participations qu’une société mère doit réintégrer à son bénéfice en application du I de l’article 216 du code général des impôts, sans possibilité pour cette dernière de limiter cette réintégration au montant réel des frais et charges de toute nature exposés par elle au cours de la période d’imposition en vue de l’acquisition ou de la conservation des revenus correspondants, ces dispositions doivent être regardées non comme ayant pour seul objet de neutraliser la déduction, opérée au titre de ses frais généraux, des charges afférentes aux titres de participation dont les produits sont exonérés d’impôt sur les sociétés, mais comme visant à soumettre à cet impôt, lorsque le montant des frais est inférieur à cette quote-part forfaitaire, une fraction des produits de participations bénéficiant du régime des sociétés mères.

3. D’autre part, aux termes de l’article 223 A du même code, relatif aux conditions d’accès au régime de l’intégration fiscale, dans sa rédaction applicable au litige :  » I. – Une société peut se constituer seule redevable de l’impôt sur les sociétés dû sur l’ensemble des résultats du groupe formé par elle-même et les sociétés dont elle détient 95 % au moins du capital, de manière continue au cours de l’exercice, directement ou indirectement par l’intermédiaire de sociétés ou d’établissements stables membres du groupe (…) / III. – Seules peuvent être membres du groupe les sociétés ou les établissements stables qui ont donné leur accord et dont les résultats sont soumis à l’impôt sur les sociétés dans les conditions de droit commun ou selon les modalités prévues à l’article 214 (…) « . Aux termes de l’article 223 B du même code, également dans sa rédaction applicable au litige :  » Le résultat d’ensemble est déterminé par la société mère en faisant la somme algébrique des résultats de chacune des sociétés du groupe, déterminés dans les conditions de droit commun ou selon les modalités prévues à l’article 214. / Le résultat d’ensemble est diminué de la quote-part de frais et charges afférente aux produits de participation perçus par une société du groupe d’une société membre du groupe depuis plus d’un exercice et aux produits de participation perçus par une société du groupe d’une société intermédiaire, d’une société étrangère ou de l’entité mère non résidente pour lesquels la société mère apporte la preuve qu’ils proviennent de produits de participation versés par une société membre du groupe depuis plus d’un exercice et n’ayant pas déjà justifié des rectifications effectuées en application du présent alinéa ou du troisième alinéa « .

4. Enfin, aux termes des stipulations de l’article 2 de la convention conclue entre la France et le Chili le 7 juin 2004 en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune :  » 3. Les impôts auxquels s’applique la Convention sont notamment : / a) En ce qui concerne la France : / (…) ii) l’impôt sur les sociétés (…) « . Aux termes de l’article 22 de cette même convention :  » 1. En ce qui concerne la France, les doubles impositions sont éliminées de la manière suivante : (…) / b) les dividendes payés par une société qui est un résident de Chili à une société qui est un résident de France sont exonérés d’impôt en France dans les mêmes conditions que si la société qui paye les dividendes était un résident de France ou d’un autre Etat membre de l’Union européenne « .

5. Il résulte de la lettre même des stipulations citées au point 4 que les dividendes distribués par une société établie au Chili à une société établie en France doivent faire l’objet, entre les mains de la société bénéficiaire, d’une exonération d’impôt équivalente à celle qui serait applicable si la distribution était opérée par une société établie en France ou dans un autre Etat membre de l’Union européenne. Dès lors, d’une part, que la réintégration dans les bénéfices soumis à l’impôt de la société qui reçoit le dividende de la quote-part de frais et charge prévue par le I de l’article 216 du code général des impôts a, lorsque cette quote-part excède le montant des charges effectivement exposées par cette société pour l’acquisition et la conservation du revenu correspondant et dans la limite d’une assiette égale à cet excédent, la nature d’une imposition du dividende reçu et, d’autre part, que cette réintégration est neutralisée lorsque la distribution provient d’une filiale établie en France appartenant au même groupe fiscalement intégré ou, en vertu de l’article 49 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne tel qu’interprété par la Cour de justice de l’Union européenne dans sa décision du 2 septembre 2015 Société Steria (aff. C-386/14), d’une filiale établie dans un autre Etat membre de l’Union européenne détenue à plus de 95 %, ces stipulations imposent qu’une neutralisation de la quote-part soit opérée dans la même mesure pour ce qui concerne les dividendes distribués par une filiale établie au Chili et qui, si elle était établie en France, satisferait aux conditions subordonnant l’appartenance au groupe fiscalement intégré.

6. Par suite, en se fondant, pour accueillir l’appel du ministre, sur ce que les stipulations du b) du 1 de l’article 22 de la convention franco-chilienne n’avaient en aucun cas pour objet de permettre à la société-mère française, en application du régime d’intégration fiscale applicable à certaines sociétés françaises, de défalquer la quote-part pour frais et charges de son bénéfice consolidé, alors que ces stipulations sont susceptibles d’avoir un tel effet lorsque et dans la mesure où la réintégration de la quote-part entraîne une taxation partielle du dividende reçu, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit.

7. Il résulte de ce qui précède que la société Legrand est fondée, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque.




 

Nota : La rubrique “En pratique” est conçue pour permettre aux professionnels de la fiscalité d’appréhender rapidement les conséquences pratiques d’un texte afin d’en faciliter la lecture et la mémorisation. De par sa nature, le contenu de cette rubrique peut être réducteur. De plus, elle est rédigée en simultané avec le texte principal et n’est pas mise à jour en fonction de l’évolution des textes, ni de leur interprétation par la jurisprudence ou la doctrine.

Compte tenu de la sensibilité, de la variété des situations, des enjeux et de l’évolution constante de la matière fiscale, il est recommandé aux non-spécialistes de consulter un professionnel, le plus souvent un avocat fiscaliste, pour assurer la sécurité juridique de leurs opérations. La rédaction décline toute responsabilité quant à l’application des mesures présentées dans la rubrique “En pratique”.

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