En pratique
L’administration peut valablement opposer la clause de bénéficiaire effectif pour refuser l’application du régime mère-fille à des dividendes de source française versés à une holding pure d’un autre Etat membre ayant procédé au reversement immédiat et intégral des dividendes.
Par cet arrêt important, le Conseil d’Etat tranche plusieurs questions inédites portant sur l’application de la clause de bénéficiaire effectif figurant dans le régime mère-fille intra-européen.
En l’espèce, la société requérante, membre d’un groupe allemand, avait versé un acompte sur dividendes de 3,6 millions d’euros à sa mère luxembourgeoise. Elle avait estimé n’être pas redevable de la retenue à la source prévue par l’article 119 bis du CGI, en se prévalant de l’exonération prévue par l’article 119 ter pour les flux intra-européens, qui transpose la directive mère-fille. L’administration a toutefois remis en cause le bénéfice de cette exonération, en lui opposant que la mère luxembourgeoise n’était pas le bénéficiaire effectif des sommes en cause, puisqu’elles avaient été reversées intégralement à une grand-mère, elle-même établie au Luxembourg.
Sa contestation, qui a été rejetée tant par le tribunal administratif de Montreuil que par la cour administrative d’appel de Paris, reposait sur pas moins de quatre axes d’argumentation différents, ce qui explique la longueur de la décision rendue par le Conseil d’Etat.
1/ En premier lieu, la société contestait, bien sûr, que sa mère luxembourgeoise à laquelle les dividendes ont été versés n’aurait pas qualité de bénéficiaire effectif. La réponse du Conseil d’Etat, même si elle est brève et si le cas de l’espèce paraissait assez basique, éclaire le mode de raisonnement qu’il déploie pour apprécier si une société a cette qualité. Ainsi, pour valider l’absence de qualité de bénéficiaire effectif, le Conseil d’Etat se fonde sur les faits de l’espèce : la mère luxembourgeoise avait reversé le montant de l’acompte sur dividendes, le lendemain même de son versement, à son associée unique luxembourgeoise, alors qu’elle ne disposait pas d’autres fonds disponibles. Il relève également que la mère luxembourgeoise n’avait pas d’autre activité que celle de porter les titres de sa fille française. Il juge que ces éléments factuels sont suffisants pour conclure que la mère n’était pas le bénéficiaire effectif.
On peut donc en déduire, sans surprise, que le cas d’une société holding pure ayant procédé au reversement immédiat et intégral des dividendes est regardé comme un cas où la société n’est pas le bénéficiaire effectif. On notera aussi que la circonstance que la société bénéficiaire du reversement soit elle-même établie dans le même Etat ne fait pas obstacle à l’application de la clause de bénéficiaire effectif.
2/ En deuxième lieu, la société invoquait une triple violation de la liberté d’établissement.
Elle faisait en effet valoir, en premier lieu, que la condition tenant à la qualité de bénéficiaire effectif des dividendes appliquée dans les situations intra-européennes transnationales n’est pas exigée pour l’application du régime mère-fille aux distributions purement internes. Elle en déduisait que les distributions transnationales sont fiscalement moins bien traitées que les distributions internes. Ensuite, elle faisait valoir que la remise en cause de l’exonération de la retenue à la source sur le fondement de l’article 119 ter pèse uniquement sur la filiale distributrice française, tandis qu’une société mère française supporte seule la remise en cause du régime des sociétés mères dont elle aurait indûment bénéficié. Enfin, elle soutenait que le taux d’imposition appliqué à cette filiale est plus élevé que celui auquel serait soumise cette société mère française.
Le Conseil d’Etat répond un à un à ces arguments.
Tout d’abord, il juge que la condition tenant à la qualité de bénéficiaire effectif dans les situations intra-européennes, qui découle de l’interprétation de la directive mère-fille retenue par la jurisprudence de la Cour de justice (CJUE, 26 février 2019, Skatteministeriet contre T Danmark et Y Denmark Aps, aff. C-116/16 et C 117/16) n’induit pas de différence de traitement en faveur des situations internes puisque le régime mère-fille doit s’interpréter uniformément, à la lumière de la directive, quelles que soient les distributions en cause. Il rappelle en effet que, selon son raisonnement dit « Technicolor » (CE, 5 juin 2020, Société Eqiom et Société Enka, n° 423809, T. pp. 670-705), le législateur français n’a pas entendu traiter différemment les situations concernant uniquement des sociétés françaises et celles qui, concernant des sociétés d’Etats membres différents, sont seules dans le champ de la directive. Ainsi, sans juger, du moins explicitement, qu’une condition de bénéficiaire effectif s’applique dans le cas des distributions internes, il en déduit donc l’absence, par hypothèse, de différence constitutive d’une restriction à la liberté d’établissement.
Répondant ensuite au deuxième argument de la requérante, il affirme que la circonstance qu’une filiale distributrice française soit redevable de la retenue à la source est « inhérente à cette technique d’imposition » et est sans incidence sur la qualité de contribuable de la société bénéficiaire non-résidente, à laquelle la filiale peut demander la restitution de cette imposition payée pour son compte.
Enfin, le troisième argument pointait le fait que, lorsque la retenue à la source n’a pas été spontanément prélevée lors du versement de dividende, elle doit être établie sur une assiette augmentée du montant de la retenue afin de reconstituer le montant brut des dividendes perçus par la société bénéficiaire. Là encore, la requérante y voyait une différence de traitement en défaveur des situations transnationales. Pour écarter cette argumentation, le Conseil d’Etat juge que cette règle n’a ni pour objet ni pour effet d’appliquer à l’assiette brute ainsi reconstituée un taux supérieur au taux de 30 % prévu à l’article 187 du CGI. Il ajoute que ce taux est, au demeurant, inférieur au taux de l’IS qui aurait été appliqué, l’année de l’imposition en litige, à une société mère française ne bénéficiant pas du régime mère-fille à raison de la perception d’un même montant brut de dividendes.
3/ La contestation se poursuivait ensuite sur le terrain des conventions fiscales bilatérales, puisque la société soutenait que l’absence, dans les conventions fiscales franco-luxembourgeoise et franco-allemande, de clause de bénéficiaire effectif faisait obstacle au redressement. Elle ajoutait que la grand-mère, bénéficiaire effectif des dividendes, était elle-même résidente du Luxembourg et estimait qu’elle pouvait donc invoquer la convention franco-luxembourgeoise.
Le Conseil d’Etat rappelle d’abord que l’absence de clause expresse de bénéficiaire effectif dans une convention fiscale ne fait pas obstacle à ce que l’administration fiscale puisse refuser un avantage conventionnel au récipiendaire de ce revenu qui n’en serait que le bénéficiaire apparent.
En relevant que ces conventions sont antérieures à l’introduction d’une clause de bénéficiaire effectif dans l’article 10 du modèle OCDE en 1977, il en déduit que leurs stipulations (i.e. articles 8 de la convention franco-luxembourgeoise et 9 de la convention franco-allemande) ne s’opposent pas à ce que le bénéfice du taux réduit de retenue à la source qu’elles prévoient soit subordonné à la condition que le résident de l’autre Etat soit le bénéficiaire effectif des dividendes. Il en déduit même que ces conventions ne sont, par conséquent, pas applicables lorsque le récipiendaire de dividendes de source française, résident du Luxembourg ou d’Allemagne, n’en est que le bénéficiaire apparent.
En revanche, dans la lignée de son arrêt Planet (CE, 20 mai 2022, Société Planet, n° 444451), il ajoute que ces conventions sont susceptibles de s’appliquer lorsque le bénéficiaire effectif réside dans l’un ou l’autre de ces Etats, quand bien même elles auraient été versées à un intermédiaire établi dans un Etat tiers.
Enfin, en réponse à l’argument tiré de ce que la grand-mère serait elle-même établie au Luxembourg, le Conseil d’Etat, sans contester qu’elle a la qualité de bénéficiaire effectif pour une partie des sommes, juge qu’en revanche elle n’a pas celle de résident fiscal du Luxembourg, ce qui fait obstacle à l’application de la convention fiscale.
4/ En dernier lieu, la requérante invoquait un argument de procédure, qui n’est pas le plus intéressant de l’affaire : elle formulait à l’encontre de l’administration un reproche d’abus de droit rampant.
Le Conseil d’Etat écarte ce dernier argument, classiquement, en jugeant que, lorsque l’administration fiscale se borne bornée à estimer qu’une société – en l’espèce la mère luxembourgeoise – ne peut être regardée comme étant le bénéficiaire effectif, sans écarter aucun acte comme ne lui étant pas opposable, on ne saurait lui reprocher de mettre en place implicitement la procédure de l’abus de droit.
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1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Foncière Vélizy Rose (FVR) a fait l’objet d’une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos les 31 décembre 2013, 2014 et 2015. À l’issue de cette procédure, l’administration fiscale a notamment remis en cause l’exonération de retenue à la source dont la société FVR s’était prévalue sur le fondement de l’article 119 ter du code général des impôts à raison de l’acompte sur dividendes, d’un montant de 3,6 millions d’euros, qu’elle avait versé, au cours de l’année 2014, à la société de droit luxembourgeois Vélizy Rose Investment (VRI). La société FVR se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 7 décembre 2022 par lequel la cour administrative d’appel de Paris a rejeté l’appel qu’elle avait formé contre le jugement du 23 septembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant, à titre principal, à la décharge de cette retenue à la source et, à titre subsidiaire, à sa réduction par application du taux de 5 % prévu par le 1. du a) du 2 de l’article 8 de la convention fiscale franco-luxembourgeoise.
2. D’une part, aux termes du 2 de l’article 119 bis du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à l’année d’imposition en litige : » Les produits visés aux articles 108 à 117 bis donnent lieu à l’application d’une retenue à la source dont le taux est fixé par l’article 187 lorsqu’ils bénéficient à des personnes qui n’ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France (…) « . Aux termes de l’article 119 ter du même code : » 1. La retenue à la source prévue au 2 de l’article 119 bis n’est pas applicable aux dividendes distribués à une personne morale qui remplit les conditions énumérées au 2 du présent article par une société ou un organisme soumis à l’impôt sur les sociétés au taux normal. / 2. Pour bénéficier de l’exonération prévue au 1, la personne morale doit justifier auprès du débiteur ou de la personne qui assure le paiement de ces revenus qu’elle est le bénéficiaire effectif des dividendes et qu’elle remplit les conditions suivantes : / a) Avoir son siège de direction effective dans un Etat membre de l’Union européenne ou dans un autre Etat partie à l’accord sur l’Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales et n’être pas considérée, aux termes d’une convention en matière de double imposition conclue avec un Etat tiers, comme ayant sa résidence fiscale hors de l’Union européenne ou de l’Espace économique européen ; (…) « . Aux termes de l’article 187 du même code, dans sa rédaction applicable à l’année d’imposition en litige : » (…), le taux de la retenue à la source prévue à l’article 119 bis est fixé à : (…) – 30 % pour tous les autres revenus « .
3. D’autre part, aux termes de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales : » Afin d’en restituer le véritable caractère, l’administration est en droit d’écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d’un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n’ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. (…) « .
4. En premier lieu, pour écarter le moyen de la société requérante tiré de ce que l’administration fiscale aurait implicitement recouru à la procédure de répression des abus de droit sans lui offrir les garanties prévues par l’article L. 64 du livre des procédures fiscales cité au point 3, la cour a jugé qu’après avoir constaté notamment que la société luxembourgeoise VRI avait reçu, de la part de la société française FVR dont elle détenait l’intégralité du capital social, un acompte sur dividendes de 3,6 millions d’euros le 2 juillet 2014 et qu’elle avait reversé ce même montant le lendemain à son associée unique, la société luxembourgeoise Dewnos Investment, alors qu’elle ne disposait pas d’autres fonds disponibles, et considéré que la société luxembourgeoise VRI n’avait pas d’autre activité que celle de porter les titres de la société française FVR, l’administration fiscale s’était bornée à estimer que la société luxembourgeoise VRI ne pouvait être regardée comme étant le bénéficiaire effectif, au sens et pour l’application de l’article 119 ter du code général des impôts cité au point 2, de la somme de 3,6 millions d’euros sans écarter aucun acte comme ne lui étant pas opposable. En statuant ainsi, la cour, qui a suffisamment motivé son arrêt, n’a pas commis d’erreur de droit ni donné aux faits de l’espèce qu’elle n’a pas dénaturés, une inexacte qualification juridique.
5. En deuxième lieu, la société requérante soutient que la cour a commis une erreur de droit en jugeant que n’était pas utilement invocable, au soutien de sa demande de décharge, le moyen tiré de ce que la mise en oeuvre des articles 119 bis et 119 ter du code général des impôts était constitutive d’une atteinte à la liberté d’établissement consacrée par les articles 49 et 54 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, alors que ce moyen était, selon elle, opérant et fondé dès lors que la condition tenant à la qualité de bénéficiaire effectif des dividendes appliquée aux sociétés mères établies dans un Etat-membre autre que la France n’est pas exigée pour l’application aux distributions entre sociétés établies en France du régime des sociétés mères résultant des dispositions des articles 145 et 216 du code général des impôts, que la remise en cause de l’exonération de la retenue à la source sur le fondement de l’article 119 ter du code général des impôts pèse uniquement sur la filiale distributrice française tandis qu’une société mère française supporte seule la remise en cause du régime des sociétés mères dont elle aurait indûment bénéficié, et que le taux d’imposition appliqué à cette filiale est plus élevé que celui auquel serait soumise cette société mère française.
6. Aux termes de l’article 4 de la directive 2011/96/UE du Conseil du 30 novembre 2011 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents, laquelle reprend en substance les dispositions de la directive 90/435/CEE du 23 juillet 1990 : » 1. Lorsqu’une société mère ou son établissement stable perçoit, au titre de l’association entre la société mère et sa filiale, des bénéfices distribués autrement qu’à l’occasion de la liquidation de cette dernière, l’État membre de la société mère et l’État membre de son établissement stable: / a) soit s’abstiennent d’imposer ces bénéfices; / b) soit les imposent tout en autorisant la société mère et l’établissement stable à déduire du montant de leur impôt la fraction de l’impôt sur les sociétés afférente à ces bénéfices et acquittée par la filiale et toute sous-filiale, (…), dans la limite du montant dû de l’impôt correspondant. (…) 3. Tout État membre garde la faculté de prévoir que des charges se rapportant à la participation et des moins-values résultant de la distribution des bénéfices de la société filiale ne sont pas déductibles du bénéfice imposable de la société mère. (…) « . Aux termes du 1 de l’article 5 de cette directive : » Les bénéfices distribués par une filiale à sa société mère sont exonérés de retenue à la source « . Aux termes de l’article 6 de cette même directive : » L’État membre dont relève la société mère ne peut percevoir de retenue à la source sur les bénéfices que cette société reçoit de sa filiale « .
7. D’une part, il résulte des motifs de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 26 février 2019, Skatteministeriet contre T Danmark et Y Denmark Aps (aff. C-116/16 et C 117/16) que la qualité de bénéficiaire effectif des dividendes doit être regardée comme une condition du bénéfice de l’exonération de retenue à la source prévue par l’article 5 de la directive 90/435/CEE du 23 juillet 1990, repris à l’article 5 de la directive 2011/96/UE du 30 novembre 2011. Par suite, le 2 de l’article 119 ter du code général des impôts, en ce qu’il subordonne le bénéfice de l’exonération de retenue à la source à la condition que la personne morale qui perçoit les dividendes justifie auprès du débiteur ou de la personne qui en assure le paiement qu’elle en est le bénéficiaire effectif, n’est pas incompatible avec les objectifs de la directive. D’autre part, le régime des sociétés mères résultant des dispositions des articles 145 et 216 du code général des impôts, issu de textes législatifs antérieurs et qui n’a pas été modifié à la suite de l’intervention de la directive 90/435/CEE du 23 juillet 1990 puis de la directive 2011/96/UE du 30 novembre 2011, doit être regardé comme assurant la transposition des objectifs de cette directive. Le législateur n’ayant pas entendu traiter différemment les situations concernant uniquement des sociétés françaises et celles qui, concernant des sociétés d’Etats membres différents, sont seules dans le champ de la directive, les dispositions en cause doivent en conséquence être interprétées à la lumière de ces objectifs, dès lors qu’une telle interprétation n’est pas contraire à leur lettre. Les dispositions des articles 145 et 216 du code général des impôts devant être regardées comme transposant les objectifs de l’article 4 de la directive 90/435/CEE du 23 juillet 1990, repris à l’article 4 de la directive 2011/96/UE du 30 novembre 2011, elles doivent, par suite, être lues à la lumière de ces objectifs. Par suite, et dès lors que dans l’un et l’autre cas, la loi française est conforme aux objectifs de la directive, la société requérante ne peut utilement soutenir que les dispositions du code général des impôts institueraient entre les sociétés mères percevant d’une filiale établie en France des dividendes dont elles ne sont pas les bénéficiaires effectives, selon qu’elles sont elles-mêmes établies en France ou dans un autre Etat-membre de l’Union européenne, une différence de traitement fiscal méconnaissant la liberté d’établissement.
8. Par ailleurs, la circonstance qu’une filiale distributrice établie en France soit redevable de la retenue à la source prévue au 2 de l’article 119 bis du code général des impôts est inhérente à cette technique d’imposition et sans incidence sur la qualité de contribuable de la société bénéficiaire non-résidente à laquelle la filiale peut demander la restitution de cette imposition payée pour son compte. Par suite, en tout état de cause, la société requérante n’est pas fondée à soutenir que la remise en cause de l’exonération de la retenue à la source pèserait uniquement sur la filiale distributrice française tandis qu’une société mère française supporterait seule la remise en cause du régime résultant des articles 145 et 216 du code général des impôts dont elle aurait indûment bénéficié.
9. Enfin, la circonstance que la retenue à la source qui n’a pas été spontanément prélevée lors du versement de dividendes soit établie sur une assiette augmentée du montant de la retenue afin de reconstituer le montant brut des dividendes perçus par la société bénéficiaire n’a, contrairement à ce que soutient la société requérante, ni pour objet ni pour effet d’appliquer à l’assiette brute ainsi reconstituée un taux supérieur à celui prévu à l’article 187 du code général des impôts cité au point 2, lequel est, au demeurant, inférieur au taux de l’impôt sur les sociétés qui aurait été appliqué, l’année de l’imposition en litige, à une société mère française ne bénéficiant pas du régime prévu par les articles 145 et 216 du même code, à raison de la perception d’un même montant brut de dividendes.
10. Il y a lieu de substituer les motifs énoncés aux points 7 à 9, qui sont exclusifs de toute appréciation de fait et qui justifient sur ce point le dispositif de l’arrêt attaqué, à ceux retenus par la cour pour écarter le moyen tiré de ce que l’application des articles 119 bis et 119 ter du code général des impôts serait constitutive d’une atteinte à la liberté d’établissement. Par suite, les moyens dirigés contre les motifs ainsi substitués sont inopérants et ne peuvent qu’être écartés.
11. En troisième lieu, en jugeant, au vu des éléments de fait exposés au point 4, qu’elle n’a pas dénaturés, que la société luxembourgeoise VRI ne pouvait être regardée comme la bénéficiaire effective de l’acompte sur dividendes de 3,6 millions d’euros en litige, au sens et pour l’application de l’article 119 ter du code général des impôts cité au point 2, la cour, qui n’a pas méconnu les règles de dévolution de la charge de la preuve et a suffisamment motivé son arrêt, n’a pas commis d’erreur de droit ni inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.
12. En quatrième lieu, l’absence de clause expresse dans une convention fiscale subordonnant l’application d’un taux réduit de retenue à la source à la qualité de bénéficiaire effectif d’un dividende de source française ne fait pas obstacle à ce que l’administration fiscale puisse refuser cet avantage conventionnel au récipiendaire de ce revenu qui n’en serait que le bénéficiaire apparent.
13. D’une part, aux termes de l’article 8 de la convention fiscale signée entre la France et le Luxembourg le 1er avril 1958 : » 1. Les dividendes payés par une société qui a son domicile fiscal dans un État contractant à une personne qui a son domicile fiscal dans l’autre État contractant sont imposables dans cet autre État. / 2. a) Toutefois, ces dividendes peuvent être imposés dans l’État contractant où la société qui paie les dividendes à son domicile fiscal, et selon la législation de cet État, mais l’impôt ainsi établi ne peut excéder : 1. 5 % du montant brut des dividendes si le bénéficiaire des dividendes est une société de capitaux qui détient directement au moins 25 % du capital social de la société de capitaux qui distribue les dividendes ; 2. 15 % du montant brut des dividendes, dans tous les autres cas « . Aux termes de l’article 10 bis de cette convention : » Pour bénéficier des dispositions de l’article 8, paragraphes 2, 3 et 4, (…) la personne qui a son domicile fiscal dans un des États contractants doit produire aux autorités fiscales de l’autre État contractant une attestation, visée par les autorités fiscales du premier État, précisant les revenus pour lesquels le bénéfice des dispositions visées ci-dessus est demandé et certifiant que ces revenus et les paiements prévus à l’article 8, paragraphes 3 et 4, seront soumis aux impôts directs, dans les conditions du droit commun, dans l’État où elle a son domicile fiscal. / (…) « . D’autre part, aux termes de l’article 9 de la convention fiscale signée entre la France et l’Allemagne le 21 juillet 1959 : » (1) Les dividendes payés par une société qui est un résident d’un Etat contractant à un résident de l’autre Etat contractant sont imposables dans cet autre Etat. / (2) Chacun des Etats contractants conserve le droit de percevoir l’impôt sur les dividendes par voie de retenue à la source, conformément à sa législation. Toutefois, ce prélèvement ne peut excéder 15 % du montant brut des dividendes « .
14. Ni les stipulations des articles 8 de la convention franco-luxembourgeoise et 9 de la convention franco-allemande, qui sont antérieures à l’introduction d’une clause dite de bénéficiaire effectif dans l’article 10, intitulé » dividendes « , du modèle de convention fiscale concernant le revenu et la fortune établi par l’Organisation de coopération et de développement économiques, dans sa version adoptée par son conseil le 11 avril 1977, ni aucun des éléments relatifs au contexte ou au but dans lequel ces conventions ont été établies, ne s’opposent à ce que le bénéfice de l’application du taux réduit de retenue à la source qu’elles prévoient pour les revenus de dividendes payés à un résident de l’autre Etat partie à la convention soit subordonné à la condition que le résident en cause soit le bénéficiaire effectif de ces revenus. Par suite, ces conventions ne sont pas applicables lorsque le récipiendaire de dividendes de source française, résident du Luxembourg ou d’Allemagne, n’en est que le bénéficiaire apparent. En revanche, elles sont susceptibles de s’appliquer lorsque le bénéficiaire effectif de tels revenus réside dans l’un ou l’autre de ces Etats, quand bien même elles auraient été versées à un intermédiaire établi dans un Etat tiers.
15. Si la qualité de bénéficiaire effectif de l’acompte sur dividende en litige de la société luxembourgeoise Dewnos Investment et de M. A…, à hauteur des sommes respectives de 360 000 euros et de 24 192 euros, ressort manifestement des pièces du dossier soumis aux juges du fond, notamment de la proposition de rectification du 21 décembre 2017, il n’en va en revanche pas de même de leur qualité de résident fiscal, respectivement, du Luxembourg et d’Allemagne, ni, pour ce qui concerne la société Dewnos Investment, du respect de la condition prévue à l’article 10 bis de la convention fiscale franco-luxembourgeoise cité au point 13. Par suite, et en tout état de cause, la société requérante n’est pas fondée à soutenir qu’il y aurait lieu de faire application, à la somme de 384 192 euros, du taux de retenue à la source de 15 % prévu par les stipulations du 2. du a) du 2 de l’article 8 de la convention fiscale franco-luxembourgeoise et de l’article 9 de la convention fiscale franco-allemande.
16. Il résulte de tout ce qui précède que la société Foncière Vélizy Rose n’est pas fondée à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque.
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