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Apport-cession : précisions sur la condition de réinvestissement

CE, 16 février 2024, n° 472835 : le Conseil d’Etat juge que le maintien du report d’imposition (CGI, art. 150-0 B ter) après cession et réinvestissement dans l’acquisition d’une fraction du capital d’une nouvelle société suppose que la holding, qui doit obtenir par ce réinvestissement le contrôle de la nouvelle société, n'en dispose pas déjà à la date à laquelle intervient cette acquisition.

Le bénéfice du report d’imposition prévu en cas d’opération d’apport-cession par l’article 150-0 B ter du CGI est subordonné à de nombreuses conditions. En principe la cession, par la holding bénéficiaire de l’apport, des titres qui lui ont été apportés, met fin au report si elle intervient dans les trois ans de l’apport. Pour obtenir le maintien du report par dérogation à ce principe, la holding doit prendre l’engagement de réinvestir une partie majoritaire – 50 % puis 60 % depuis 2019 – du produit de la cession, dans un délai de deux ans, dans certains emplois éligibles. Parmi ceux-ci figurent l’acquisition d’une fraction du capital d’une société exerçant une activité opérationnelle (à l’exclusion de la gestion de son propre patrimoine) « qui a pour effet de lui en conférer le contrôle ».

L’affaire tranchée par le Conseil d’Etat le 16 février vient éclairer la portée de cette dernière condition, liée à la prise de contrôle de la cible par la holding.

En l’espèce, le contribuable avait apporté à sa holding les titres d’une société A qui a procédé, peu après l’apport, au rachat puis à l’annulation des actions apportées. Un tel rachat étant regardé comme une cession, la holding a réinvesti la majorité du produit de cette cession. En l’espèce, elle a procédé à l’acquisition, auprès de la même société A, de parts sociales d’une nouvelle société B. L’administration a estimé que ce réinvestissement ne permettait pas de bénéficier du report d’imposition dès lors que la holding contrôlait déjà la société B à l’issue de l’apport par l’intermédiaire de la société A, si bien que le réinvestissement dans l’acquisition de titres de la société B ne pouvait être regardé comme lui ayant conféré le contrôle de celle-ci. Cette position de l’administration a été invalidée par la cour administrative d’appel de Toulouse, par un arrêt contre lequel l’administration s’est pourvue en cassation.

Livrant une méthode d’appréciation du respect de la condition d’obtention du contrôle de la cible, le Conseil d’Etat rejette le pourvoi en cassation de l’administration.

De manière inédite, complétant sa jurisprudence sur l’apport-cession, il apporte d’abord une précision chronologique importante : pour apprécier le respect de cette condition d’obtention du contrôle de la cible, il convient de vérifier si la holding ne dispose pas déjà de ce contrôle à la date où elle acquiert les titres de la cible. Il juge en effet qu’il résulte de l’article 150-0 B ter du CGI que le maintien du report d’imposition lors du réinvestissement est « subordonné à la ce que la première société, qui doit obtenir par ce réinvestissement le contrôle de la seconde (…) n’en dispose pas déjà à la date à laquelle intervient cette acquisition ».

Or en l’espèce, pour estimer que le contribuable avait perdu le bénéfice du report, l’administration s’était fondée sur la circonstance que la holding contrôlait la société cible à l’issue de l’opération d’apport, du fait de la détention par la société A de la quasi-totalité des parts de cette société cible. Le Conseil d’Etat juge que cette circonstance, à la supposer établie, ne permet, par elle-même, de regarder comme non satisfaite la condition de prise de contrôle de la cible. Dès lors que la holding avait, à la date du réinvestissement, perdu ce contrôle du fait du rachat et de l’annulation des titres de la société A au travers desquels elle détenait le contrôle de la cible, cette perte lui permettait d’en prendre à nouveau le contrôle par le biais du réinvestissement, remplissant ainsi la condition exigée par l’article 150-0 B ter.

Le Conseil d’Etat confirme, par ces motifs, la décharge accordée par le juge d’appel.

Elle juge en effet, d’une part, que les ORA émises par une société dans laquelle le redevable exerce ses fonctions ne constituent pas des parts ou actions de cette société et, par conséquent, ne sont pas susceptibles d’être considérées comme des biens professionnels et, d’autre part, qu’a fortiori la détention d’ORA émises par une société dans laquelle le redevable exerce ses fonctions ne constitue pas une participation, au sens des dispositions de l’article 885 O bis du CGI relatives aux participations indirectes. 

Nota : La rubrique “En pratique” est conçue pour permettre aux professionnels de la fiscalité d’appréhender rapidement les conséquences pratiques d’un texte afin d’en faciliter la lecture et la mémorisation. De par sa nature, le contenu de cette rubrique peut être réducteur. De plus, elle est rédigée en simultané avec le texte principal et n’est pas mise à jour en fonction de l’évolution des textes, ni de leur interprétation par la jurisprudence ou la doctrine.

Compte tenu de la sensibilité, de la variété des situations, des enjeux et de l’évolution constante de la matière fiscale, il est recommandé aux non-spécialistes de consulter un professionnel, le plus souvent un avocat fiscaliste, pour assurer la sécurité juridique de leurs opérations. La rédaction décline toute responsabilité quant à l’application des mesures présentées dans la rubrique “En pratique”.

(…)

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, le 28 juillet 2016, Mme C… B… a notamment apporté à la société par actions simplifiée (SAS) GA 7, dont elle était jusque-là l’associée unique, 6 541 actions de la société par actions simplifiée (SAS) Gaillard et reçu en contrepartie 2 741 675 actions nouvellement émises par la société GA 7, réalisant à cette occasion une plus-value de 3 064 804 euros. La société Gaillard a procédé, le 26 septembre 2016, au rachat puis à l’annulation de celles de ses actions qui avaient été apportées à la société GA 7. Le 27 octobre 2016, cette dernière société a réinvesti plus de 50 % du montant du produit de cette cession en procédant à l’acquisition, auprès de la société Gaillard, de 291 parts sociales de la société Groupement forestier de la forêt de Bauzon. M. et Mme B… ont déclaré en 2017, au titre de l’imposition de leurs revenus de l’année 2016, la plus-value réalisée lors de l’apport par Mme B… des titres de la société Gaillard qu’elle détenait à la société GA 7, sur laquelle ils ont appliqué l’abattement pour durée de détention de 65 % prévu par le b du 1 ter de l’article 150-0 D du code général des impôts. Par une réclamation du 9 septembre 2017, M. et Mme B… ont demandé le bénéfice du report d’imposition prévu par l’article 150-0 B ter du même code et, par suite, le dégrèvement de l’imposition de cette plus-value au titre de l’année 2016. L’administration a rejeté leur demande au motif que, dès lors que la société GA 7 contrôlait déjà, à l’issue de l’opération d’apport du 28 juillet 2016, la société Groupement forestier de la forêt de Bauzon, le réinvestissement par la première de plus de 50 % du produit de la cession des titres apportés dans l’acquisition de titres de la seconde ne pouvait être regardé comme lui ayant conféré le contrôle de celle-ci, condition à laquelle le 2° du I de l’article 150-0 B ter du code général des impôts subordonne le maintien du report d’imposition de la plus-value d’apport. Le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 23 février 2023 par lequel la cour administrative d’appel de Toulouse a prononcé la décharge des cotisations d’impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles M. et Mme B… ont été assujettis au titre de l’année 2016 à raison de la plus-value d’apport en litige, réformé le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 28 décembre 2020 en ce qu’il avait de contraire et rejeté le surplus des conclusions de leur appel, relatives aux majorations mises à leur charge en application de l’article 1730 du code général des impôts.

2. Aux termes du I de l’article 150-0 B ter du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige :  » L’imposition de la plus-value réalisée, directement ou par personne interposée, dans le cadre d’un apport de valeurs mobilières, de droits sociaux, de titres ou de droits s’y rapportant tels que définis à l’article 150-0 A à une société soumise à l’impôt sur les sociétés ou à un impôt équivalent est reportée si les conditions prévues au III du présent article sont remplies. (…) Il est mis fin au report d’imposition à l’occasion : (…) 2° De la cession à titre onéreux, du rachat, du remboursement ou de l’annulation des titres apportés, si cet événement intervient dans un délai, décompté de date à date, de trois ans à compter de l’apport des titres. Toutefois, il n’est pas mis fin au report d’imposition lorsque la société bénéficiaire de l’apport cède les titres dans un délai de trois ans à compter de la date de l’apport et prend l’engagement d’investir le produit de leur cession, dans un délai de deux ans à compter de la date de la cession et à hauteur d’au moins 50 % du montant de ce produit, dans le financement d’une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale, agricole ou financière, à l’exception de la gestion d’un patrimoine mobilier ou immobilier, dans l’acquisition d’une fraction du capital d’une société exerçant une telle activité, sous la même exception, et qui a pour effet de lui en conférer le contrôle au sens du 2° du III du présent article (…) Le non-respect de la condition de réinvestissement met fin au report d’imposition au titre de l’année au cours de laquelle le délai de deux ans expire « . Il résulte de ces dispositions, éclairées par leurs travaux préparatoires, que le maintien du report d’imposition de la plus-value réalisée, dans les conditions prévues à cet article, à l’occasion de l’apport de titres à une société est, lorsqu’il procède du réinvestissement, dans les proportions et délais requis, du produit de la cession à titre onéreux, du rachat, du remboursement ou de l’annulation des titres apportés dans l’acquisition d’une fraction du capital d’une société exerçant une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale, agricole ou financière, à l’exception de la gestion d’un patrimoine mobilier ou immobilier, subordonné à ce que la première société, qui doit obtenir par ce réinvestissement le contrôle de la seconde, au sens du 2° du III de l’article 150-0 B ter du code général des impôts, n’en dispose pas déjà à la date à laquelle intervient cette acquisition.

3. Pour juger que le rachat et l’annulation, par la société Gaillard, le 26 septembre 2016, de ceux de ses titres qui avaient été apportés le 28 juillet 2016 par Mme B… à la société GA 7 n’avait pas mis fin au report d’imposition, prévu par l’article 150-0 B ter du code général des impôts, de la plus-value réalisée à l’occasion de cet apport, la cour s’est fondée sur ce qu’il résultait de l’instruction que la société GA 7 avait réinvesti plus de 50 % du montant du produit du rachat dans l’acquisition, le 27 octobre 2016, de 291 parts sociales de la société Groupement forestier de la forêt de Bauzon, ce qui lui avait permis de détenir 301 des 600 parts composant le capital de cette société et ainsi d’en acquérir le contrôle.

4. La cour a en outre jugé que la circonstance, à la supposer établie, que la société GA 7 contrôlait la société Groupement forestier de la forêt de Bauzon à l’issue de l’opération d’apport du fait de la détention par la société Gaillard de la quasi-totalité des parts de cette société ne permettait pas, par elle-même, de regarder comme non satisfaite la condition de réinvestissement avec prise de contrôle à laquelle l’article 150-0 B ter du code général des impôts subordonne le maintien du report d’imposition en cas de cession des titres apportés, dès lors que la société GA 7 avait, à la date du réinvestissement, perdu ce contrôle du fait du rachat et de l’annulation des titres de la société Gaillard au travers desquels elle l’exerçait. En statuant ainsi, la cour administrative d’appel, qui a porté sur les faits de l’espèce une appréciation exempte de dénaturation et n’a pas insuffisamment motivé son arrêt, n’a pas commis d’erreur de droit.

5. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique n’est pas fondé à demander l’annulation des articles 1er à 3 de l’arrêt qu’il attaque.

(…)








 

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