En pratique
Le dispositif permettant la taxation d’office des avoirs non-déclarés à l’étranger à compter du défaut de justification de leur origine par le contribuable est conforme au droit de l’UE.
En l’espèce, à la suite d’un signalement par le procureur de la République transmises en 2014, l’administration fiscale avait interrogé les contribuables sur l’origine d’avoirs figurant sur des comptes suisses dont ils étaient titulaires de 2005 à 2007.
L’article L. 23 C du LPF lui permet en effet, lorsque l’obligation de déclaration des comptes à l’étranger n’a pas été respectée, de demander ces justifications, sous peine de taxation d’office : en l’absence de justification, ces avoirs sont, en application de l’article 755 du CGI, réputés constituer un patrimoine acquis à titre gratuit assujetti, à la date d’expiration des délais prévus à cet article L. 23 C, aux droits de mutation à titre gratuit au taux le plus élevé, soit 60 %.
L’administration ayant estimé les justifications insuffisantes, les avoirs ont été soumis aux droits de mutation en 2015.
Dès lors que 10 ans s’étaient écoulés entre le redressement et les faits, et que la règle posée par l’article 755 du CGI a pour effet de permettre à l’administration de taxer ces sommes quelle que soit la durée écoulée depuis la détention des comptes (le fait générateur de l’imposition étant constitué fictivement par l’écoulement du délai de réponse octroyé par l’administration), les contribuables ont invoqué la libre circulation des capitaux et la jurisprudence de la CJUE selon laquelle l’exigence de sécurité juridique s’oppose, en principe, à ce que les autorités publiques puissent faire indéfiniment usage de leurs pouvoirs pour remédier à une situation illégale (CJUE, arrêt du 27 janvier 2022, Commission/Espagne, C- 788/19, point 39).
La Cour de cassation reconnaît d’abord l’existence d’une restriction à la libre circulation des capitaux dès lors que l’obligation déclarative, qui constitue le socle de cette règlementation, n’existe que pour les comptes à l’étranger.
Toutefois, elle juge cette restriction justifiée : dans le prolongement d’une décision du Conseil constitutionnel n° 2021-939 QPC du 15 octobre 2021, elle relève que ce dispositif « poursuit l’objectif constitutionnel de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales », et que cet objectif est au nombre des raisons impérieuses d’intérêt général susceptibles de justifier l’institution d’une restriction à la liberté de circulation des capitaux.
Elle ajoute que ce dispositif est adéquat à la réalisation de cet objectif, « le niveau d’information dont disposent les autorités nationales concernant les avoirs détenus par leurs résidents fiscaux à l’étranger étant, globalement, plus faible que celui dont elles disposent au sujet des avoirs situés sur leur territoire, même en tenant compte de l’existence de mécanismes d’échange d’informations ou d’assistance administrative entre les Etats membres ».
Enfin et surtout, elle juge la restriction proportionnée, même au regard des délais de prescription.
Elle rappelle certes que « la Cour de justice juge que, si le législateur national peut instituer un délai de prescription prolongé dans le but de garantir l’efficacité des contrôles fiscaux et de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales liées à la dissimulation d’avoirs à l’étranger, à condition que la durée de ce délai n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ces objectifs compte tenu, notamment, des mécanismes d’échange d’informations et d’assistance administrative entre États membres (CJCE, arrêt X et Passenheim-van Schoot, précité, points 66, 72 et 73), il ne saurait en aller de même de l’institution de mécanismes revenant, en pratique, à prolonger indéfiniment la période pendant laquelle l’imposition peut avoir lieu ou permettant de revenir sur une prescription déjà acquise (CJUE, arrêt Commission c/ Espagne, précité, point 38) ».
Mais elle relève que « l’administration fiscale ne peut adresser une demande d’information ou de justification relative aux avoirs détenus sur un compte bancaire à l’étranger que lorsque les obligations déclaratives énoncées à l’article 1649 A du code général des impôts n’ont pas été respectées au cours des dix années précédentes. » et que « le contribuable qui justifie, en réponse à la demande adressée sur le fondement de l’article L. 23 C du livre des procédures fiscales, de l’origine et des modalités d’acquisition des avoirs détenus sur un compte non déclaré à l’étranger, n’est pas soumis à la taxation d’office prévue à l’article 755 du code général des impôts mais demeure soumis au régime de prescription applicable aux impositions initialement dues sur les avoirs en cause, même si le compte n’a pas été initialement déclaré ».
Pour ces motifs, elle juge que les règles fixant le point de départ de la prescription à la date d’expiration du délai de réponse octroyé par l’administration ne sont pas disproportionnées, et conclut que « les articles L. 23 C du livre des procédures fiscales et 755 du code général des impôts ne sont, dès lors, pas incompatibles avec le principe de sécurité juridique et le principe de libre circulation des capitaux, garanti à l’article 63 du TFUE ».
Il faut noter qu’elle n’a pas suivi l’invitation formulée par les requérants de saisir la CJUE d’une question préjudicielle.
7. Aux termes de l’article 63 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), dans le cadre des dispositions du chapitre du Traité dont ce texte relève, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites.
8. Selon l’article 65, paragraphe 1, b), de ce même Traité, l’article 63 ne porte pas atteinte au droit des Etats membres de prendre toutes les mesures indispensables pour faire échec aux infractions à leurs lois et à leurs règlements, notamment en matière fiscale.
9. L’exigence fondamentale de sécurité juridique s’oppose, en principe, à ce que les autorités publiques puissent faire indéfiniment usage de leurs pouvoirs pour remédier à une situation illégale (CJUE, arrêt du 27 janvier 2022, Commission/Espagne, C- 788/19, point 39 ; arrêt du 6 février 2025, Emporiki Serron AE, C-42/24, point 32).
10. Aux termes de l’article 1649 A, deuxième alinéa, du code général des impôts, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018, les personnes physiques, les associations, les sociétés n’ayant pas la forme commerciale, domiciliées ou établies en France, sont tenues de déclarer, en même temps que leur déclaration de revenus ou de résultats, les références des comptes ouverts, utilisés ou clos à l’étranger.
11. Aux termes de l’article L. 23 C du livre des procédures fiscales, lorsque l’obligation prévue au deuxième alinéa de l’article 1649 A ou à l’article 1649 AA du code général des impôts n’a pas été respectée au moins une fois au titre des dix années précédentes, l’administration peut demander, indépendamment d’une procédure d’examen de situation fiscale personnelle, à la personne physique soumise à cette obligation de fournir dans un délai de soixante jours toutes informations ou justifications sur l’origine et les modalités d’acquisition des avoirs figurant sur le compte ou le contrat d’assurance vie. Lorsque la personne a répondu de façon insuffisante aux demandes d’informations ou de justifications, l’administration lui adresse une mise en demeure d’avoir à compléter sa réponse dans un délai de trente jours, en précisant les compléments de réponse qu’elle souhaite.
12. Selon l’article L. 71 du livre des procédures fiscales, en l’absence de réponse ou à défaut de réponse suffisante aux demandes d’informations ou de justifications prévues à l’article L. 23 C de ce livre dans les délais prévus au même article, la personne est taxée d’office dans les conditions prévues à l’article 755 du code général des impôts.
13. Aux termes de l’article 755 du code général des impôts, les avoirs figurant sur un compte ou un contrat d’assurance-vie étranger et dont l’origine et les modalités d’acquisition n’ont pas été justifiées dans le cadre de la procédure prévue à l’article L. 23 C du livre des procédures fiscales sont réputées constituer, jusqu’à preuve contraire, un patrimoine acquis à titre gratuit assujetti, à la date d’expiration des délais prévus au même article L. 23 C, aux droits de mutation à titre gratuit au taux le plus élevé mentionné au tableau III de l’article 777 du code général des impôts. Ces droits sont calculés sur la valeur la plus élevée connue de l’administration des avoirs figurant sur le compte ou le contrat d’assurance-vie au cours des dix années précédant l’envoi de la demande d’informations ou de justifications prévue à l’article L. 23 C du livre des procédures fiscales, diminuée de la valeur des avoirs dont l’origine et les modalités d’acquisition ont été justifiées.
14. Il résulte de l’article 777 du code général des impôts que les droits sont calculés au taux de 60 %, correspondant au taux de droit commun applicable entre parents au-delà du quatrième degré et entre personnes non parentes.
15. Enfin, selon l’article L. 181-0 A du livre des procédures fiscales, le droit de reprise de l’administration relatif aux droits de mutation à titre gratuit peut s’exercer jusqu’à l’expiration de la dixième année suivant celle du fait générateur de ces impôts ou droits quand ils sont assis sur des biens ou droits mentionnés aux articles 1649 A, 1649 AA et 1649 AB du code général des impôts, sauf si l’exigibilité des impôts ou droits relatifs aux biens ou droits correspondants a été suffisamment révélée dans le document enregistré ou présenté à la formalité. Le fait générateur de l’imposition prévue à l’article 755 du code général des impôts correspond à la date d’expiration des délais prévus à l’article L. 23 C du livre des procédures fiscales et constitue le point de départ de la prescription décennale fixée par l’article L. 181-0 A (Com., 16 décembre 2020, pourvoi n° 18-16.801, publié).
16. Selon la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, les mesures nationales susceptibles de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice des libertés fondamentales garanties par le traité peuvent néanmoins être admises à condition qu’elles poursuivent un objectif légitime compatible avec le traité, qu’elles soient justifiées par des raisons impérieuses d’intérêt général, qu’elles soient propres à garantir la réalisation de l’objectif qu’elles poursuivent et qu’elles n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif (CJCE, arrêt du 11 mars 2004, De Lasteyrie du Saillant, C-9/02, point 49).
17. Constituent, notamment, des restrictions aux mouvements de capitaux, au sens de l’article 63, paragraphe 1, TFUE, des mesures imposées par un État membre qui sont de nature à dissuader, à empêcher ou à limiter les possibilités des investisseurs de cet État d’investir dans d’autres États (CJCE, arrêt du 26 septembre 2000, Commission c/ Belgique, C-478/98, point 18).
18. L’obligation énoncée à l’article 1649 A du code général des impôts, pour les personnes physiques notamment, de déclarer à l’administration fiscale, en même temps que leur déclaration de revenus ou de résultats, les références des comptes ouverts, utilisés ou clos à l’étranger, n’a pas d’équivalent pour les comptes ouverts dans les banques situées en France, lesquels sont déclarés par les établissements bancaires.
19. Le délai de prescription prévu à l’article L. 181-0 A du livre des procédures fiscales est un délai allongé, dérogatoire du droit commun, justifié par la circonstance que les comptes bancaires sur lesquels sont détenus les avoirs imposés sont situés à l’étranger.
20. Ces différences de traitement, qui sont de nature à dissuader, à empêcher ou à limiter les possibilités pour les résidents français d’investir dans d’autres Etats membres ou des pays tiers, constituent une restriction à la liberté de circulation des capitaux.
21. Toutefois, le dispositif fiscal en cause, qui permet à l’administration fiscale de taxer d’office aux droits de mutation à titre gratuit, sur le fondement de l’article 755 du code général des impôts, les avoirs figurant sur un compte bancaire ouvert à l’étranger et dont l’origine et les modalités d’acquisition n’ont pas été justifiées à l’occasion de la procédure prévue à l’article L. 23 C du livre des procédures fiscales, poursuit l’objectif constitutionnel de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales (Conseil constitutionnel, décision n° 2021-939 QPC du 15 octobre 2021).
22. Cet objectif est au nombre des raisons impérieuses d’intérêt général susceptibles de justifier l’institution d’une restriction à la liberté de circulation des capitaux (CJCE, arrêt du 11 juin 2009, X et Passenheim-van Schoot, C-155/08 et C-157/08, points 45 et 46 ; CJUE, arrêt du 27 janvier 2022, Commission c/ Espagne, C-788/19, point 22).
23. En outre, le niveau d’information dont disposent les autorités nationales concernant les avoirs détenus par leurs résidents fiscaux à l’étranger étant, globalement, plus faible que celui dont elles disposent au sujet des avoirs situés sur leur territoire, même en tenant compte de l’existence de mécanismes d’échange d’informations ou d’assistance administrative entre les Etats membres, le dispositif fiscal en cause apparaît propre à garantir la réalisation de l’objectif de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.
24. S’agissant de la proportionnalité du dispositif, et plus précisément de ses règles de prescription, au regard des objectifs poursuivis, la Cour de justice juge que, si le législateur national peut instituer un délai de prescription prolongé dans le but de garantir l’efficacité des contrôles fiscaux et de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales liées à la dissimulation d’avoirs à l’étranger, à condition que la durée de ce délai n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ces objectifs compte tenu, notamment, des mécanismes d’échange d’informations et d’assistance administrative entre États membres (CJCE, arrêt X et Passenheim-van Schoot, précité, points 66, 72 et 73), il ne saurait en aller de même de l’institution de mécanismes revenant, en pratique, à prolonger indéfiniment la période pendant laquelle l’imposition peut avoir lieu ou permettant de revenir sur une prescription déjà acquise (CJUE, arrêt Commission c/ Espagne, précité, point 38).
25. Or, il résulte, tout d’abord, de l’article L. 23 C du livre des procédures fiscales que l’administration fiscale ne peut adresser une demande d’information ou de justification relative aux avoirs détenus sur un compte bancaire à l’étranger que lorsque les obligations déclaratives énoncées à l’article 1649 A du code général des impôts n’ont pas été respectées au cours des dix années précédentes.
26. Ensuite, s’il n’est pas justifié de l’origine et des modalités d’acquisition des avoirs, ces derniers sont réputés constituer un patrimoine acquis à titre gratuit assujetti aux droits de mutation à titre gratuit et le droit de reprise de l’administration fiscale est soumis au délai de prescription décennal prévu à l’article L. 181-0 A du livre des procédures fiscales.
27. Enfin, le contribuable qui justifie, en réponse à la demande adressée sur le fondement de l’article L. 23 C du livre des procédures fiscales, de l’origine et des modalités d’acquisition des avoirs détenus sur un compte non déclaré à l’étranger, n’est pas soumis à la taxation d’office prévue à l’article 755 du code général des impôts mais demeure soumis au régime de prescription applicable aux impositions initialement dues sur les avoirs en cause, même si le compte n’a pas été initialement déclaré.
28. Il en résulte que le dispositif de taxation d’office des avoirs détenus sur un compte non déclaré à l’étranger, qui poursuit un but légitime, repose sur un régime de prescription qui n’est pas, en tant qu’il fixe le point de départ du délai de prescription à l’expiration des délais prévus à l’article L. 23 C, disproportionné au regard de ce but.
29. Les articles L. 23 C du livre des procédures fiscales et 755 du code général des impôts ne sont, dès lors, pas incompatibles avec le principe de sécurité juridique et le principe de libre circulation des capitaux, garanti à l’article 63 du TFUE.
30. Le moyen, qui postule le contraire, n’est donc pas fondé.
31. Et en l’absence de doute raisonnable quant à l’interprétation de l’article 63 du TFUE et du principe de sécurité juridique, il n’y a pas lieu de saisir la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle.
Nota : La rubrique “En pratique” est conçue pour permettre aux professionnels de la fiscalité d’appréhender rapidement les conséquences pratiques d’un texte afin d’en faciliter la lecture et la mémorisation. De par sa nature, le contenu de cette rubrique peut être réducteur. De plus, elle est rédigée en simultané avec le texte principal et n’est pas mise à jour en fonction de l’évolution des textes, ni de leur interprétation par la jurisprudence ou la doctrine.
Compte tenu de la sensibilité, de la variété des situations, des enjeux et de l’évolution constante de la matière fiscale, il est recommandé aux non-spécialistes de consulter un professionnel, le plus souvent un avocat fiscaliste, pour assurer la sécurité juridique de leurs opérations. La rédaction décline toute responsabilité quant à l’application des mesures présentées dans la rubrique “En pratique”.
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