En pratique
La cession de l’usufruit de parts d’une société de personnes doit, pour le calcul de la plus-value imposable, se voir appliquer les correctifs issus de la jurisprudence Quemener. En outre, lorsque la cession porte sur les parts d’une filiale ayant réalisé un bénéfice exonéré, ou détenant une participation dans une sous-filiale ayant réalisé un tel bénéfice, ce dernier doit être neutralisé lorsqu’il a été réparti aux associés.
Par cette décision rendue au cours de l’été, le Conseil d’Etat a tranché plusieurs questions inédites à l’occasion de l’examen d’une importante restructuration de l’exploitation des parcs de loisir Center Parcs en France.
La société requérante avait cédé, dans le cadre d’une opération d’échange, l’usufruit des parts d’une holding, constituée sous la forme d’une SNC et soumise à l’impôt sur le revenu. Cette cession avait généré pour elle une importante moins-value de près de 34 M€, donnant lieu à un déficit reportable.
A l’issue d’une vérification de comptabilité, l’administration a estimé que la cession se soldait non par une moins-value, mais par une plus-value de 9 M€. En effet, elle a estimé que la cession de l’usufruit de parts d’une société de personnes devait se voir appliquer les correctifs issus de la jurisprudence « Quemener ». A ce titre, elle a revu à la baisse le prix d’acquisition des parts de la holding, en le majorant d’une répartition de bénéfices de près de 45 M€ effectuée à son profit. Elle a considéré que ce bénéfice ne pouvait pas être neutralisé dès lors qu’il avait été exonéré.
Dans sa décision, le Conseil d’Etat donne d’abord raison à l’administration sur un point : il juge que la cession de l’usufruit de parts d’une société de personnes doit, comme la cession des parts elles-mêmes, se voir appliquer les correctifs issus de sa jurisprudence Quemener.
Toutefois, dans un second temps, il invalide la position de l’administration sur le calcul de ces correctifs. Il considère en effet que la circonstance que le bénéfice de la filiale de 45 M€ avait été exonéré ne justifie pas de refuser sa neutralisation lors du calcul du correctif Quemener lors de la cession ultérieure de la participation dans la holding : cela reviendrait, sinon, à annuler l’exonération de manière injustifiée. Plus précisément, dès lors que la société réalisant le bénéfice exonéré était en l’espèce une filiale de la holding, il juge, pour la première fois, que la neutralisation s’impose dans un tel cas.
In fine, il rejette donc le pourvoi du ministre dirigé contre un arrêt d’appel qui, tout en faisant application des correctifs Quemener à cette cession d’usufruit, avait validé le calcul de la moins-value du contribuable.
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le 30 septembre 2009, la société Pierre et Vacances Financement (PVFI), assujettie à l’impôt sur les sociétés, a cédé, dans le cadre d’une opération d’échange, l’usufruit des parts de la SNC CP Holding Franco-belge (HFB), soumise au régime fiscal de l’article 8 du code général des impôts. A ce titre, la société PVFI a imputé sur son résultat imposable au titre de l’exercice clos le 30 septembre 2009, une moins-value de 33,7 millions d’euros et a reporté sur les exercices postérieurs le déficit engendré par cette moins-value. A l’issue d’une vérification de comptabilité de la société PVFI portant sur les exercices clos les 30 septembre 2011, 2012 et 2013, l’administration fiscale a estimé que l’opération d’échange réalisée le 30 septembre 2009 se soldait non par la moins-value déclarée de 33,7 millions d’euros mais par une plus-value de 9 millions d’euros, procédé en conséquence à un rehaussement de base de 42,7 millions d’euros au titre de l’exercice clos en 2009 et remis en cause le montant du déficit reportable déclaré à la clôture du dernier exercice vérifié.
2. Par un jugement du 27 janvier 2022, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté la demande de la société PVFI tendant au rétablissement du déficit déclaré au titre de l’exercice clos en 2009. Par un arrêt du 13 septembre 2023, la cour administrative d’appel de Paris a, sur appel formé par la société PVFI contre ce jugement, réduit la base imposable au titre de l’exercice en litige d’un montant de 44,7 millions d’euros, rétabli en conséquence de cette réduction le déficit déclaré au titre de ce même exercice, réformé en ce sens le jugement du 27 janvier 2022 et rejeté le surplus des conclusions de la requête. Le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande l’annulation des articles 1er à 3 de cet arrêt.
3. Aux termes de l’article 8 du code général des impôts : » Sous réserve des dispositions de l’article 6, les associés des sociétés en nom collectif et les commandités des sociétés en commandite simple sont, lorsque ces sociétés n’ont pas opté pour le régime fiscal des sociétés de capitaux, personnellement soumis à l’impôt sur le revenu pour la part de bénéfices sociaux correspondant à leurs droits dans la société. En cas de démembrement de la propriété de tout ou partie des parts sociales, l’usufruitier est soumis à l’impôt sur le revenu pour la quote-part correspondant aux droits dans les bénéfices que lui confère sa qualité d’usufruitier. Le nu-propriétaire n’est pas soumis à l’impôt sur le revenu à raison du résultat imposé au nom de l’usufruitier. » Aux termes de l’article 218 bis de ce code : » Les sociétés ou personnes morales passibles de l’impôt sur les sociétés en vertu de l’article 206, à l’exception de celles désignées au 5 de l’article précité, sont personnellement soumises audit impôt à raison de la part des bénéfices correspondant aux droits qu’elles détiennent, dans les conditions prévues aux articles 8,8 quater, 8 quinquies et 1655 ter, en qualité d’associées en nom ou commanditées ou de membres de sociétés visées auxdits articles. » Aux termes de l’article 219 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : » I. Pour le calcul de l’impôt, le bénéfice imposable est arrondi à l’euro le plus proche. La fraction d’euro égale à 0,50 est comptée pour 1. / Le taux normal de l’impôt est fixé à 33,1/3 %. / Toutefois : / (…) / a quinquies. (…) Pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2007, une quote-part de frais et charges égale à 5 % du résultat net des plus-values de cession est prise en compte pour la détermination du résultat imposable. / (…) « . Aux termes du I de l’article 238 bis K du même code : » Lorsque des droits dans une société ou un groupement mentionnés aux articles 8, 8 quinquies, 239 quater, 239 quater B, 239 quater C ou 239 quater D sont inscrits à l’actif d’une personne morale passible de l’impôt sur les sociétés dans les conditions de droit commun ou d’une entreprise industrielle, commerciale, artisanale ou agricole imposable à l’impôt sur le revenu de plein droit selon un régime de bénéfice réel, la part de bénéfice correspondant à ces droits est déterminée selon les règles applicables au bénéfice réalisé par la personne ou l’entreprise qui détient ces droits. «
4. Dans le cas où un associé cède les parts qu’il détient dans une société ou un groupement relevant ou ayant relevé de l’un des régimes prévus aux articles 8, 8 ter, 239 quater B ou 239 quater C du code général des impôts, le résultat de cette opération doit être calculé, pour assurer la neutralité de l’application de la loi fiscale compte tenu du régime spécifique de ces sociétés, en retenant, comme prix d’acquisition de ces parts, leur valeur d’acquisition majorée, d’une part, de la quote-part des bénéfices de cette société ou de ce groupement revenant à l’associé qui a été ajoutée aux revenus imposés de celui-ci, antérieurement à la cession et pendant la période d’application de ce régime et, d’autre part, des pertes afférentes à des entreprises exploitées par la société ou le groupement en France et ayant donné lieu de la part de l’associé à un versement en vue de les combler. Ce prix d’acquisition doit être par ailleurs minoré, d’une part, des déficits que l’associé a déduits pendant cette même période, à l’exclusion de ceux qui trouvent leur origine dans une disposition par laquelle le législateur a entendu octroyer un avantage fiscal définitif, et, d’autre part, des bénéfices afférents à des entreprises exploitées en France par la société ou le groupement et ayant donné lieu à répartition au profit de l’associé.
5. Le prix d’acquisition des parts cédées doit également être majoré de la quote-part, revenant à l’associé cédant, des bénéfices non répartis de la société ou du groupement et qui n’ont pas fait l’objet d’une imposition effective en application d’une disposition par laquelle le législateur a entendu accorder un avantage fiscal définitif. Lorsque cette société ou ce groupement détient lui-même des participations dans une entité relevant ou ayant relevé de l’un des mêmes régimes prévus aux articles 8, 8 ter, 239 quater B ou 239 quater C du code général des impôts, le prix d’acquisition des parts cédées doit par ailleurs être majoré de la quote-part, revenant indirectement à l’associé cédant, des bénéfices non répartis de cette entité et qui n’ont pas, non plus, fait l’objet d’une imposition effective en application d’une disposition ayant le même objet.
6. Les règles énoncées aux points 4 et 5 s’appliquent également en cas de démembrement de propriété, à raison de la quote-part des résultats revenant respectivement à l’usufruitier et au nu-propriétaire, des parts.
7. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, pour procéder à l’annulation du déficit de la société PVFI issu de l’opération d’échange de titres réalisée en 2009 mentionnée au point 1, l’administration fiscale a corrigé la valeur nette d’acquisition de l’usufruit des parts de la société HFB en le majorant de la quote-part revenant à la société PVFI des bénéfices imposables qu’elle avait réalisés et en le minorant de la répartition de bénéfices effectuée par la société HFB au profit de la société PVFI le 25 août 2009, d’un montant de 44,7 millions d’euros.
8. La cour administrative d’appel a relevé, en premier lieu, par une appréciation souveraine non entachée de dénaturation, que la répartition de bénéfices effectuée, au cours de l’exercice clos en 2009, par la société HFB au profit de la société PVFI trouvait son origine dans une plus-value de cession de titres réalisée par une filiale, elle-même soumise au régime fiscal de l’article 8 du code général des impôts, de la société HFB, son associée unique. La cour a estimé, en second lieu, par des motifs non contestés en cassation, que cette plus-value présentait, pour la détermination du résultat de la société HFB et par conséquent, selon elle, pour la détermination du résultat de la société PVFI, en sa qualité d’usufruitière des parts de la société HFB, le caractère d’un bénéfice courant. Compte tenu de ces constatations, la cour a jugé que cette répartition de bénéfices avait été, à bon droit, portée, par l’administration fiscale en minoration du prix d’acquisition de l’usufruit des parts de la société HFB par la société PVFI mais qu’elle devait également venir, à hauteur de 95 % de son montant, en majoration de ce prix d’acquisition, au motif que la plus-value réalisée par la filiale de la société HFB, à l’origine de cette répartition selon la cour, était exonérée à hauteur d’un tel pourcentage en application des dispositions du a quinquies du I de l’article 219 du code général des impôts cité au point 3.
9. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit aux points 4 à 6 que la cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant qu’il convenait de majorer le prix d’acquisition par la société PVFI de l’usufruit des parts de la société HFB de la fraction exonérée de la plus-value réalisée par la filiale de cette dernière, quand bien même, contrairement à ce que soutient le ministre, ces sociétés auraient déclaré à tort, dans leurs résultats respectifs, la totalité de la plus-value en cause et non la seule quote-part prévue au a quinquies du I de l’article 219 du code général des impôts.
10. En second lieu, en en déduisant que la répartition de bénéfices de 44,7 millions d’euros effectuée, au cours de l’exercice clos en 2009, par la société HFB au profit de la société PVFI demeurait sans incidence sur l’imposition de la société PVFI au titre de cet exercice, elle n’a pas non plus méconnu les articles 8 et 238 bis K du code général des impôts.
11. Il résulte de ce qui précède que le ministre n’est pas fondé à demander l’annulation des articles 1er à 3 de l’arrêt qu’il attaque.
Nota : La rubrique “En pratique” est conçue pour permettre aux professionnels de la fiscalité d’appréhender rapidement les conséquences pratiques d’un texte afin d’en faciliter la lecture et la mémorisation. De par sa nature, le contenu de cette rubrique peut être réducteur. De plus, elle est rédigée en simultané avec le texte principal et n’est pas mise à jour en fonction de l’évolution des textes, ni de leur interprétation par la jurisprudence ou la doctrine.
Compte tenu de la sensibilité, de la variété des situations, des enjeux et de l’évolution constante de la matière fiscale, il est recommandé aux non-spécialistes de consulter un professionnel, le plus souvent un avocat fiscaliste, pour assurer la sécurité juridique de leurs opérations. La rédaction décline toute responsabilité quant à l’application des mesures présentées dans la rubrique “En pratique”.
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